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1 Angoisse: Stéphane Mallarmé. ♫ poem☒
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête ♫
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes ♫
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.
Car le Vice, rongeant ma native noblesse ♫
M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul, ♫
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
━━━ ◇ ━━━
Sur la côte du Texas ♫
Entre Mobile et Galveston il y a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est grande rose
Une femme se promène souvent ♫
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls
Nous nous regardons
Comme cette femme est mennonite ♫
Ses rosiers et ses vêtements n'ont pas de boutons
Il en manque deux à mon veston
La dame et moi suivons presque le même rite
━━━ ◇ ━━━
Depuis son entrée en France avec l'armée d'invasion, Walter Schnaffs se jugeait le plus malheureux des hommes. Il était gros, marchait avec peine, soufflait beaucoup et souffrait affreusement des pieds qu'il avait fort plats et fort gras. Il était en outre pacifique et bienveillant, nullement magnanime ou sanguinaire, père de quatre enfants qu'il adorait et marié avec une jeune femme blonde, dont il regrettait désespérément chaque soir les tendresses, les petits soins et baisers. Il aimait se lever tard et se coucher tôt. manger lentement de bonnes choses et boire de la bière dans les brasseries. Il songeait en outre que tout ce qui est doux dans l'existence disparaît avec la vie; et il gardait au coeur une haine épouvantable, instinctive et raisonnée en même temps, pour les canons, les fusils, les revolvers et les sabres, mais surtout pour les baïonnettes, se sentant incapable de manoeuvrer assez vivement cette arme rapide pour défendre son gros ventre. ♫
Et, quand il se couchait sur la terre, la nuit venue, roulé dans son manteau à côté des camarades qui ronflaient, il pensait longuement aux siens laissés là-bas et aux dangers semés sur sa route: «S'il était tué, que deviendraient les petits? Qui donc les nourrirait et les élèverait?» A l'heure même, ils n'étaient pas riches, malgré les dettes qu'il avait contractées en partant pour leur laisser quelque argent. Et Walter Schnaffs pleurait quelquefois. ♫
Au commencement des batailles il se sentait dans les jambes de telles faiblesses qu'il se serait laissé tomber, s'il n'avait songé que toute l'armée lui passerait sur le corps. Le sifflement des balles hérissait le poil sur sa peau. ♫
Depuis des mois il vivait ainsi dans la terreur et dans l'angoisse. ♫
Son corps d'armée s'avançait vers la Normandie; et il fut un jour envoyé en reconnaissance avec un faible détachement qui devait simplement explorer une partie du pas et se replier ensuite. Tout semblait calme dans la campagne; rien n'indiquait une résistance préparée. ♫
Or, les Prussiens descendaient avec tranquillité dans une petite valée que coupaient des ravins profonds, quand une fusillade violente les arrêta net, jetant bas une vingtaine des leurs; et une troupe de francs-tireurs, sortant brusquement d'un petit bois grand comme la main, s'élança en avant, la baïonnette au fusil. ♫
Walter Schnaffs demeura d'abord immobile, tellement surpris et éperdu qu'il ne pensait même pas à fuir. Puis un désir fou de détaler le saisit; mais il songea aussitôt qu'il courait comme une tortue en comparaison des maigres Français qui arrivaient en bondissant comme un troupeau de chèvres. Alors apercevant à six pas devant lui un large fossé plein de broussailles couverts de feuilles sèches, il y sauta à pieds joints, sans songer même à la profondeur, comme on saute d'un pont dans une rivière. ♫
Il passa, à la façon d'une flèche, à travers une couche épaisse de lianes et de ronces aiguës qui lui déchirèrent la face et les mains, et il tomba lourdement assis sur un lit de pierres. ♫
Levant aussitôt les yeux, il vit le ciel par le trou qu'il avait fait, ce trou révélateur le pouvait dénoncer, et il se traîna avec précaution, à quatre pattes, au fond de cette ornière, sous le toit de branchages enlacés, allant le plus vite possible. en s'éloignant du lieu du combat. Puis il s'arrêta et s'assit de nouveau, tapi comme un lièvre au des hautes herbes sèches. ♫
Il entendit pendant quelque temps encore des détonations,des cris et des plaintes. Puis les clameurs de la lutte s'affaiblirent, cessèrant. Tout redevint muet et calme. ♫
Soudain quelque chose remua contre lui. Il eut un sursaut épouvantable. C'était un petit oiseau qui, s'étant posé sur une branche, agitait des feuilles mortes. pendant près d'une heure, le coeur de Walter Schnaffs en battit à grands coups pressés. ♫
La nuit venait, emplissant d'ombre le ravin. Et le soldat se mit à songer. Qu'allait-il faire? Qu'allait-il devenir? Rejoindre son armée?...Mais comment? Mais par où? Et il lui faudrait recommencer l'horrible vie d'angoisses, d'épouvantes, de fatigues et de souffrances qu'il menait depuis le commencement de la guerre! Non! Il ne se sentait plus ce courage. Il n'aurait plus l'énergie qu'il fallait pour supporter les marches et affronter les dangers de toutes les minutes. ♫
Mais que faire? Il ne pouvait rester dans ce ravin et s'y cacher jusqu'à la fin des hostilités. Non, certes. S'il n'avait pas fallu manger, cette perspective ne l'aurait pas trop atterré; mais il fallait manger, manger tous les jours. ♫
Et il se trouvait ainsi tout seul, en armes, en uniforme, sur le territoire ennemi, loin de ceux qui le pouvaient défendre. Des frissons lui couraient sur la peau. ♫
Soudain il pensa: «Si seulement j'étais prisonnier!» Et son coeur frémit de désir, d'un désir violent, immodéré, d'être prisonnier des Français. Prisonnier! Il serait sauvé, nourri, logé, à l'abri des balles et des sabres, sans appréhension possible, dans une bonne prison bien gardée. Prisonnier! Quel rêve! ♫
Et sa résolution fut prise immédiatement: ♫
- Je vais me constituer prisonnier.
Il se leva, résolu à exécuter ce projet sans tarder d'une minute. Mais il demeura immobile, assailli soudain par des réflexions fâcheuses et par des terreurs nouvelles.
Où allait-il se constituer prisonnier? Comment? De quel côté? Et des images affreuses, des images de mort, se précipitèrent dans son âme. ♫
Il allait courir des dangers terribles en s'aventurant seul, avec son casque à pointe, par la campagne. ♫
S'il rencontrait des paysans? Ces paysans, voyant un Prussien perdu, un Prussien sans défence, le tueraient comme un chien errant! Ils le massacreraient avec leurs fourches, leurs pioches, leurs faux, leurs pelles! Ils en feraient une bouillie, une pâtée, avec l'acharnement des vaincus exaspérés. ♫
S'il rencontrait des francs-tireurs? Ces francs-tireurs, des enragés sans loi ni discipline, le fusilleraient pour s'amuser, pour passer une heure, histoire de rire en voyant sa tête. Et il se croyait déjà appuyé contre un mur en face de douze canons de fusils, dont les petits trous ronds et noirs semblaient le regarder. ♫
S'il rencontrait l'armée française elle-même? les hommes d'avant-garde le prendraient pour un éclaireur, pour quelque hardi et malin troupier parti seul en reconnaissance, et ils lui tireraient dessus. Et il entendait déjà les détonations irrégulières des soldats couchés dans les broussailles, tandis que lui, debout au milieu d'un champ, s'affaissait, troué comme une écumoire par les balles qu'il sentait entrer dans sa chair. ♫
Il se rassit, désespéré. Sa situation lui paraissait sans issue. ♫
La nuit était tout à fait venue, la nuit muette et noire. Il ne bougeait plus, tressaillant à tous les bruits inconnus et légers qui passent dans les ténèbres. Un lapin, tapant du cul au bord d'un terrier, faillit faire s'enfuir Walter Schnaffs. les cris des chouettes lui déchiraient l'âme, le traversant de peurs soudaines, douloureuses comme des blessures. Il écarquillait ses gros yeux pour tâcher de voir dans l'ombre; et il s'imaginait à tout moment entendre marcher près de lui. ♫
Après d'interminables heures et des angoisses de damné, il aperçut, à travers son plafond de branchages, le ciel qui devenait clair. Alors, un soulagement immense le pénétra; ses membres se détendirent, reposés soudain; son coeur s'apaisa: ses yeux se fermèrent. Il s'endormit. ♫
Quand il se réveilla, le soleil lui parut arrivé à peu près au milieu du ciel; il devait être midi. Aucun bruit ne troublait la paix morne des champs; et Walter Schnaffs s'aperçut qu'il était atteint d'une faim aiguë. ♫
Il bâillait, la bouche humide à la pensée du saucisson, du bon saucisson des soldats; et son estomac lui faisait mal. ♫
Il se leva, fit quelques pas, sentit que ses jambes étaient faibles, et se rassit pour réfléchir. Pendant deux ou trois heures encore, il établit le pour et le contre, changeant à tout moment de résolution, combattu, malheureux, tiraillé par les raisons les plus contraires. ♫
Une idée lui parut enfin logique et pratique, c'était de guetter le passage d'un villageois seul, sans armes, et sans outils de travail dangereux, de courir au-devant de lui et de se remettre en ses mains en lui faisant bien comprendre qu'il se rendait. ♫
Alors il ôta son casque, dont la pointe le pouvait trahir, et il sortit sa tête au bord de son trou, avec des précautions infinies. ♫
Aucun être isolé ne se montrait à l'horizon, Là-bas, à droite, un petit village envoyait au ciel la fumée de ses toits, la fumée des cuisines! Là-bas à gauche, il apercevait, au bout des arbres d'une avenue, un grand château flanqué de tourelles. ♫
Il attendit jusqu'au soir, souffrant affreusement, ne voyant rien que des vols de corbeaux, n'entendant rien que les plaintes sourdes de ses entrailles. ♫
Et la nuit encore tomba sur lui. ♫
Il s'allongea au fond de sa retraite et il s'endormit d'un sommeil fiévreux, hanté de cauchemars, d'un sommeil d'homme affamé. ♫
L'aurore se leva de nouveau sur sa tête. Il se remit en observation. Mais la campagne restait vide comme la veille; et une peur nouvelle entrait dans l'esprit de Walter Schnaffs, la peur de mourir de faim! Il se voyait étendu au fond de son trou, sur le dos, les deux yeux fermés. Puis des bêtes, des petites bêtes de toute sorte s'approchaient de son cadavre et se mettaient à la manger, l'attaquant partout à la fois, se glissant sous ses vêtements pour mordre sa peau froide. Et un grand corbeau lui piquait le yeux de son bec effilé. ♫
Alors, il devint fou, s'imaginant qu'il allait s'évanouir de faiblesse et ne plus pouvoir marcher. Et déjà, il s'apprêtait à s'élancer vers le village, résolu à tout oser, à tout braver, quand il aperçut trois paysans qui s'en allaient aux champs avec leurs fourches sur l'epaule, et il se replongea dans sa cachette. ♫
Mais, dès que le soir obscurcit la plaine, il sortit lentement du fossé, et se mit en route, courbé, craintif, le coeur battant, vers le château lointain, préférant entrer là-dedans plutôt qu'au village qui lui semblait redoutable comme une tanière pleine de tigres. ♫
Les fenêtres d'en bas brillaient. Une d'elles était même ouverte; et une forte odeur de viande cuite s'en échappait, une odeur qui pénétra brusquement dans le nez et jusqu'au fond du ventre de Walter Schnaffs, qui le crispa, le fit haleter, l'attirant irrésistiblement, lui jetant au coeur une audace désespérée. ♫
Et brusquement, sans réfléchir, il apparut, casqué, dans le cadre de la fenêtre. ♫
Huit domestiques dînaient autour d'une grande table. Mais soudain une bonne demeura béante, laissant tomber son verre, les yeux fixes. Tous les regards suivirent le sien! ♫
Seigneur! les prussiens attaquaient le château!... ♫
Ce fut d'abord un cri, un seul cri, fait de huit cris poussés sur huit tons différents, un cri d'epouvante horrible, puis une levée tumultueuse, une bousculade, une mêlée, une fuite éperdue vers la porte du fond. Les chaises tombaient, les hommes renversaient les femmes et passaient dessus. En deux secondes, la pièce fut vide, abandonnée, avec la table couverte de mangeaille en face de Walter Schnaffs stupéfait, toujours debout dans sa fenêtre. ♫
Après quelque instants d'hésitation, il enjamba le mur d'appui et s'avança vers les assiettes. Sa faim exaspérée le faisait trembler comme un fiévreux: mais une terreur le retenait, le paralysait encore. Il écouta. Toute la maison semblait frémir; des portes se fermaient, des pas rapides couraient sur le plancher du dessus. Le Prussien inquiet tendait l'oreille à ces confuses rumeurs; puis il entendit des bruits sourds comme si des corps fussent tombés dans la terre molle, au pied des murs, des corps humains sautant du premier étage. ♫
Puis tout mouvement, toute agitation cessèrent, et le grand château devint silencieux comme un tombeau. ♫
Walter Schnaffs s'assit devant une assiette restée intacte, et il se mit à manger. Il mangeait par grandes bouchées comme s'il eût craint d'être interrompu trop tôt, de n'en pouvoir engloutir assez. Il jetait à deux mains les morceaux dans sa bouche ouverte comme une trappe; et des paquets de nourriture lui descendaient coup sur coup dans l'estomac, gonflant sa gorge en passant. Parfois, il s'interrompait, prêt à crever à la façon d'un tuyau trop plein. Il prenait alors la cruche au cidre et se déblayait l'oesophage comme on lave un conduit bouché. ♫
Il vida toutes les assiettes, tous les plats et toutes les bouteilles; puis, saoul de liquide et de mangeaille, abruti, rouge, secoué par des hoquets, l'esprit troublé et la bouche grasse, il déboutonna son uniforme pour souffler, incapable d'ailleurs de faire un pas. Ses yeux se fermaient, ses idées s'engourdissaient; il posa son front pesant dans ses bras croisés sur la table, et il perdit doucement la notion des choses et des faits. ♫
Le dernier croissant éclairait vaguement l'horizon au-dessus des arbres du parc. C'était l'heure froide qui précède le jour. ♫
Des ombres glissaient dans les fourrés, nombreuses et muettes; et parfois, un rayon de lune faisait reluire dans l'ombre une pointe d'acier. ♫
Le château tranquille dressait sa grands silhouette noire. Deux fenêtres seules brillaient encore au rez-de-chaussée. ♫
Soudain, une voix tonnante hurla: ♫
- En avait! nom d'un nom! à l'assaut! mes enfants! ♫
Alors, en un instant, les portes, les contrevents et les vitres tout, envahit la maison. En un instant cinquante soldats armés jusqu'aux cheveux, bondirent dans la cuisine où reposait pacifiquement Walter Schnaffs, et, lui posant sur la poitrine cinquante fusils chargés, le culbutèrent, le roulèrent, le saisirent, le lièrent des pieds à la tête. ♫
Il haletait d'ahurissement, trop abruti pour comprendre, battu, crossé et fou de peur. ♫
Et tout d'un coup, un gros militaire chamarré d'or lui planta son pied sur le ventre en vociférant: ♫
- Vous êtes mon prisonnier, rendez-vous! ♫
Le Prussien n'entendit que ce seul mot « prisonnier », et il gémit: « ya, ya, ya ». ♫
Il fut relevé, ficelé sur une chaise, et examiné avec une vive curiosité par ses vainqueurs qui soufflaient comme des baleines. Plusieurs s'assirent, n'en pouvant plus d'émotion et de fatique. ♫
Il souriait, lui, il souriait maintenant, sûr d'être enfin prisonnier! ♫
Un autre officier entra et prononça: ♫
- Mon colonel, les ennemis se sont enfuis; plusieurs semblent avoir été blessés. nous restons maîtres de la place. ♫
Le gros militaire qui s'essuyait le front vociféra: « Victoire! ». ♫
Et il écrivit sur un petit agenda de commerce tiré de sa poche: ♫
« Après une lutte acharnée, les Prussiens ont dû battre en retraite, emportant leurs morts et leurs blessés, qu'on évalue à cinquante hommes hors de combat. Plusieurs sont restés entre nos mains. » ♫
- Quelles dispositions dois-je prendre, mon colonel? ♫
- Nous allons nous replier pour éviter un retour offensif avec de l'artillerie et des forces supérieures. ♫
Et il donna l'ordre de repartir. ♫
La colonne se reforma dans l'ombre, sous les murs du château, et se mit en mouvement, enveloppant de partout Walter Schnaffs garrotté, tenu par six guerriers le revolver au poing. ♫
Des reconnaissances furent envoyées pour éclairer la route. On avançait avec prudence, faisant halte de temps en temps. ♫
Au jour levant, on arrivait à la sous-préfecture de la Roche-Oysel, dont la garde nationale avait accompli ce fait d'armes. ♫
La population anxieuse et surexcitée attendait. Quand on aperçut le casque du prisonnier, des clameurs formidables éclatèrent. Les femmes levaient les bras; des vieilles pleuraient; un aïeul lança sa béquille au Prussien et blessa le nez d'un de ses gardiens. ♫
- Veillez à la sûreté du captif. ♫
On parvint enfin à la maison de ville. La prison fut ouverte, et Walter Schnaffs jeté dedans, libre de liens. Deux cents hommes en armes montèrent la garde autour du bâtiment. ♫
Alors, malgré des symptômes d'indigestion qui le tourmentaient depuis quelque temps, le Prussien, fou de joie, se mit à danser, à danser éperdument, en levant les bras et les jambes, à danser en poussant des cris frénétiques, jusqu'au moment où il tomba, épuisé, au pied d'un mur. ♫
C'est ainsi que le château de Champignet fut repris à l'ennemi après six heures seulement d'occupation. ♫
Le colonel Ratier, marchand de drap, qui enleva cette affaire à la tête des gardes nationaux de la Roche-Oysel, fut décoré. ♫
━━━ ◇ ━━━
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres. ♫
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux ♫
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe ♫
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balancant ta mâture, ♫
Lève l'ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages, ♫
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!
━━━ ◇ ━━━
Si je te parle c'est pour mieux t'entendre ♫
Si je t'entends je suis sûr de comprendre
Si tu souris c'est pour mieux m'envahir ♫
Si tu souris je vois le monde entier
Si je t'étreins c'est pour me continuer ♫
Si nous vivons tout sera à plaisir
Si je te quitte nous nous souviendrons ♫
Et nous quittant nous nous retrouverons
━━━ ◇ ━━━
Il portait bien son nom de bataille, l'abbé Marignan. C'était un grand prêtre maigre, fanatique, d'âme toujours exaltée, mais droite. Toutes ses croyances étaient fixes, sans jamais d'oscillations. Il s'imaginait sincèrement connaître son Dieu, pénétrer ses desseins, ses volontés, ses intentions. ♫
Quand il se promenait à grands pas dans l'allée de son petit presbytère de campagne, quelquefois une interrogation se dressait dans son esprit: «Pourquoi Dieu a-t-il fait cela?» Et il cherchait obstinément, prenant en sa pensée la place de Dieu, et il trouvait presque toujours. Ce n'est pas lui qui eût murmuré dans un élan de pieuse humilité: «Seigneur, vos desseins sont impénétrables!» Il se disait: «Je suis le serviteur de Dieu je dois connaître ses raisons d'agir, et les deviner si je ne les connais pas.» ♫
Tout lui paraissait créé dans la nature avec une logique absolue et admirable. Les «Pourquoi» et les «Parce que» se balançaient toujours. Les aurores étaient faites pour rendre joyeux les réveils, les jours pour mûrir les moissons, les pluies pour les arroser, les soirs pour préparer au sommeil et les nuits sombres pour dormir. ♫
Les quatre saisons correspondaient parfaitement à tous les besoins de l'agriculture; et jamais le soupçon n'aurait pu venir au prêtre que la nature n'a point d'intentions et que tout ce qui vit s'est plié, au contraire, aux dures nécessités des époques, des climats et de la matière. ♫
Mais il haïssait la femme, il la haïssait inconsciemment, et la méprisait par instinct. Il répétait souvent la parole du Christ: «Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et mois?» et il ajoutait: «On disait que Dieu lui-même se sentait mécontent de cette oeuvre-là.» La femme était bien pour lui l'enfant douze fois impure dont parle le poète. Elle était le tentateur qui avait entraîné le premier homme et qui continuait toujours son oeuvre de damnation, l'être faible, dangereux, mystérieusement troublant. Et plus encore que leur corps de perdition, il haïssait leur âme aimante. ♫
Souvent il avait senti leur tendresse attachée à lui et, bien qu'il se sût inattaquable, il s'exaspérait de ce besoin d'aimer qui frémissait toujours en elles. ♫
Dieu, à son avis, n'avait créé la femme que pour tenter l'homme et l'êprouver. Il ne fallait approcher d'elle qu'avec des précautions défensives, et les craintes qu'on a des pièges. Elle était, en effet, toute pareille à un piège avec ses bras tendus et ses lèvres ouvertes vers l'homme. ♫
Il n'avait d'indulgence que pour les religieuses que leur voeu rendait inoffensives; mais il les traitait durement quand même, parce qu'il la sentait toujours vivante au fond de leur coeur enchaîné, de leur coeur humilié, cette éternelle tendresse qui venait encore à lui, bien qu'il fût un prêtre. ♫
Il la sentait dans leurs regards plus mouillés de piété que les regards des moines, dans leurs extases où leur sexe se mêlait, dans leurs élans d'amour vers le Christ, qui l'indignaient parce que c'était de l'amour de femme, de l'amour charnel; il la sentait, cette tendresse maudite, dans leur docilité même, dans la douceur de leur voix en lui parlant, dans leurs yeux baissés, et dans leurs larmes résignées quand il les reprenait avec rudesse. ♫
Et il secouait sa soutane en sortant des portes du couvent, et il s'en allait en allongeant les jambes comme s'il avait fui devant un danger. ♫
Il avait une nièce qui vivait avec sa mère dans une petite maison voisine. Il s'acharnait à en faire une soeur de charité. ♫
Elle était jolie, écervelée et moqueuse. Quand l'abbé sermonnait, elle riait; et quand il se fâchait contre elle, elle l'embrassait avec véhémence, le serrant contre son coeur, tandis qu'il cherchait involontairement à se dégager de cette étreinte qui lui faisait goûter cependant une joie douce, éveillant au fond de lui cette sensation de paternité qui sommeille en tout homme. ♫
Souvent il lui parlait de Dieu, de son Dieu, en marchant à côté d'elle par les chemins des champs. Elle ne l'écoutait guère et regardait le ciel, les herbes, les fleurs, avec un bonheur de vivre qui se voyait dans ses yeux. Quelquefois elle s'élançait pour attraper une bête volante, et s'écriait en la rapportant: «Regarde, mon oncle, comme elle est jolie; j'ai envie de l'embrasser.» Et ce besoin d'«embrasser des mouches» ou des grains de lilas inquiétait, irritait, soulevait le prêtre, qui retrouvait encore là cette indéracinable tendresse qui germe toujours au coeur des femmes. ♫
Puis, voilà qu'un jour l'épouse du sacristain, qui faisait le ménage de l'abbé Marignan, lui apprit avec précaution que sa nièce avait un amoureux. ♫
Il en ressentit une émotion effroyable, et il demeura suffoqué, avec du savon plein la figure, car il était en train de se raser. ♫
Quand il se trouva en état de réfléchir et de parler, il s'écria: «Ce n'est pas vrai, vous mentez, Mélanie!» ♫
Mais la paysanne posa la main sur son coeur: «Que Notre-Seigneur me juge si je mens, monsieur le curé. J'vous dis qu'elle y va tous les soirs sitôt qu'votre soeur est couchée. Ils se r'trouvent le long de la rivière. Vous n'avez qu'à y aller voir entre dix heures et minuit.» ♫
Il cessa de se gratter le menton, et il se mit à marcher violemment, comme il faisait toujours en ses heures de grave méditation. Quand il voulut recommencer à se barbifier, il se coupa trois fois depuis le nez jusqu'à l'oreille. ♫
Tout le jour, il demeura muet, gonflé d'indignation et de colère. A sa fureur de prêtre, devant l'invincible amour, s'ajoutait une exaspération de père moral, de tuteur, de chargé d'âme, trompé, volé, joué par une enfant; cette suffocation égoïste des parents à qui leur fille annonce qu'elle a fait, sans eux et malgré eux, choix d'un époux. ♫
Après son dîner, il essaya de lire un peu, mais il ne put y parvenir; et il s'exaspérait de plus en plus. Quand dix heures sonnèrent, il prit sa canne, un formidable bâton de chêne dont il se servait toujours en ses courses nocturnes, quand il allait voir quelque malade. Et il regarda en souriant l'énorme gourdin qu'il faisait tourner, dans sa poigne solide de campagnard, en des moulinets menaçants. Puis, soudain, il le leva, et, grinçant des dents, l'abattit sur une chaise dont le dossier fendu tomba sur le plancher. ♫
Et il ouvrit sa porte pour sortir; mais il s'arrêta sur le seuil, supris par une splendeur de clair de lune telle qu'on n'en voyait presque jamais. ♫
Et comme il était doué d'un esprit exalté, un de ces esprits que devaient avoir les Pères de l'Eglise, ces poètes rêveurs, il se sentit soudain distrait, ému par la grandiose et sereine beauté de la nuit pâle. ♫
Dans son petit jardin, tout baigné de douce lumière, ses arbres fruitiers, rangés en ligne, dessinaient en ombre sur l'allée leurs grêles membres de bois à peine vêtus de verdure; tandis que le chèvrefeuille géant, grimpé sur le mur de sa maison, exhalait des souffles délicieux et comme sucrés, faisait flotter dans le soir tiède et clair une espèce d'âme parfumée. ♫
Il se mit à respirer longuement, buvant de l'air comme les ivrognes boivent du vin, et il allait à pas lents, ravi, émerveillé, oubliant presque sa nièce. ♫
Dès qu'il fut dans la campagne, il s'arrêta pour contempler toute la plaine inondée de cette lueur caressante, noyée dans ce charme tendre et languissant des nuits sereines. Les crapauds à tout instant jetaient par l'espace leur note courte et métallique, et des rossignols lointains mêlaient leur musique égrenée qui fait rêver sans faire penser, leur musique légère et vibrante, faite pour les baisers, à la séduction du clair de lune. ♫
L'abbé se remit à marcher, le coeur défaillant, sans qu'il sût pourquoi. Il se sentait comme affaibli, épuisé tout à coup; il avait une envie de s'asseoir, de rester là, de contempler, d'admirer Dieu dans son oeuvre. ♫
Là-bas, suivant les ondulations de la petite rivière, une grande ligne de peupliers serpentait. Une buée fine, une vapeur blanche que les rayons de lune traversaient, argentaient, rendaient luisante, restait suspendue autour et au-dessus des berges, enveloppait tout le cours tortueux de l'eau d'une sorte de ouate lègère et transparente. ♫
Le prêtre encore une fois s'arrêta, pénétré jusqu'au fond de l'âme par un attendrissement grandissant, irrésistible. ♫
Et un doute, une inquiétude vague l'envahissait; il sentait naître en lui une de ces interrogations qu'il se posait parfois. ♫
Pourquoi Dieu avait-il fait cela? Puisque la nuit est destinée au sommeil, à l'inconscience, au repos, à l'oubli de tout, pourquoi la rendre plus charmante que le jour, plus douce que les aurores et que les soirs, et pourquoi cet astre lent et séduisant, plus poétique que le soleil et qui semble destiné, tant il est discret, à éclairer des choses trop délicates et mystérieuses pour la grande lumière, s'en venait-il faire si transparentes les ténèbres? ♫
Pourquoi le plus habile des oiseaux chanteurs ne se reposait-il pas comme les autres et se mettait-il à vocaliser dans l'ombre troublante? ♫
Pourquoi ce demi-voile jeté sur le monde? Pourquoi ces frissons de coeur, cette émotion de l'âme, cet alanguissement de la chair? ♫
Pourquoi ce déploiement de séductions que les hommes ne voyaient point, puisqu'ils étaient couchés en leurs lits? A qui étaient destinés ce spectacle sublime, cette abondance de poésie jetée du ciel sur la terre? ♫
Et l'abbé ne comprenait point. ♫
Mais voilà que là-bas, sur le bord de la prairie, sous la voûte des arbres trempés de brume luisante, deux ombres apparurent qui marchaient côte à côte. ♫
L'homme était plus grand et tenait par le cou son amie, et, de temps en temps, l'embrassait sur le front. Ils animèrent tout à coup ce paysage immobile qui les enveloppait comme un cadre divin fait pour eux. ils semblaient, tous deux, un seul être, l'être à qui était destinée cette nuit calme et silencieuse; et ils s'en venaient vers le prêtre comme une réponse vivante, la réponse que son Maître jetait à son interrogation. ♫
Il restait debout, le coeur battant, bouleversé; et il croyait voir quelque chose de biblique, comme les amours de Ruth et de Booz, l'accomplissement d'une volonté du Seigneur dans un de ces grands décors dont parlent les livres saints. En sa tête se mirent à bourdonner les versets du Cantique des Cantiques, les cris d'ardeur, les appels des corps, toute la chaude poésie de ce poème brûlant de tendresse. ♫
Et il se dit: «Dieu peut-être a fait ces nuits-là pour voiler d'idéal les amours des hommes.» ♫
Et il reculait devant ce couple embrassé qui marchait toujours. C'était sa nièce pourtant; mais il se demandait maintenant s'il n'allait pas désobéir à Dieu. Et Dieu ne permet-il point l'amour, puisqu'il l'entoure visiblement d'une splendeur pareille? ♫
Et il s'enfuit, éperdu, presque honteux, comme s'il eût pénétré dans un temple où il n'avait pas le droit d'entrer. ♫
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Les 660 (KM)2 Les Plus «Grands» Du Monde
Une petite ville paisible, au coeur des Charentes, a fait de son nom l'un des plus prestigeux ambassadeurs du monde: Cognac. Demandé, aussi bien dans un bar de Toronto, un restaurant de Copenhague ou une auberge yougoslave, le Cognac est devenu l'expression la plus parfaite du goût français. Les noms des producteurs-négociants sont des marques mondialement connues qui éclatent au néon dans la 5e Avenue de New York ou s'étalent en caractères étranges sur une banderole de papier camphré du quartier de Hokkaïdo. Comment l'expliquer? Il faut pour cela remonter à la source.
Remonter, par exemple, avec ce viticulteur charentais, les rangs serrés de son vignoble et suivre avec lui, sous le jeune soleil de mai, la floraison sur les pampres encore tendres.
Il est là, qui surveille, pèse étudie. Son regard évalue ce que pourra rendre la «bonne chauffe», la deuxième distillation spécifique au Cognac. Grand seigneur lui-même, il a fait de son produit «Le Seigneur de la Table». Pour donner au Cognac toutes ses qualités, des années seront nécessaires: au cours du temps, chacun respectera les normes de qualité et d'âge que garantissent de règles sévères.
Au delà des bois et des champagnes qui donnent leurs noms aux plus grands crus, les chênes du Limousin prêteront leur concour. Eux seuls, sous la vigilance et le doigté du «doleur» qui en tire les barriques ventrues, sont à même de donner au Cognac sa couleur et son esprit.
Les 66 000 hectares de vignes qui composent le royaume du Cognac sont là, partout; parfois interrompus par quelques maisons aux toits de tuiles, surtout visibles lorsque s'en échappent, au long des jours et des nuits de novembre à mars, les minces colonnes de fumée de la brûlerie. Ces hectares ont été répartis en sept régions, devenues sept crus: Grande Champagne, Petite Champagne, Borderies, Fins Bois, Bons Bois, Bois Ordinaires, Bois à Terroir. Le nom de Cognac a fait d'eux le plus sûr passeport du monde.
A cette soirée parisienne ou dans ce bar sélect de Rome, le jeune couple qui discute, un verre de Cognac en main, a interprété le message. Gens raffinés, dynamiques, d'une moderne distinction, ils sont devenus ses ambassadeurs. Notre viticulteur charentais le sait. Il l'a voulu ainsi. Lui qui sait mieux que personne que, nulle part ailleurs, ne pourrait s'obtenir le fruit de son talent: le Cognac.
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Etes-vous certain de savoir déguster la Grande Fine Adet?
En Charente, nous n'apprécions guère ceux qui boivent le Cognac à la hussarde. Ne vous est-il jamais arrivé de rencontrer de ces soi-disant connaisseurs qui le consomment à la manière de tout autre alcool?... Et n'avez-vous jamais regretté de leur offrir ce merveilleux produit, dont ils ne savant rien tirer? Imaginez un Stradivarius entre les mains d'un néophyte...
La Grande Fine Adet est de cette catérgorie. Elle ne se livre pleinement qu'à ceux qui savent la comprendre. Mais alors, quel éblouissement! quelle débauche d'ors et de lumières!
Dans votre main, réchauffez-la lentement, employant de préférence pour cet usage un verre fin, en forme de tulipe, de format plutôt réduit. La dégustation en grand verre réclame déjà plus d'expérience. «Placez au besoin votre main libre sur le verre. Vous en facilitez le réchauffement et concentrez les éthers aromatiques. Attendez ainsi quelques minutes... c'est important...» puis laissez parler la Grande Fine Adet.
Alors longuement, très longuement, elle vous contera les splendeurs insoupçonnées d'un Cognac, d'un très grand Cognac.
Un seul conseil: respirez-la profondément... lentement, comme pour humer une fleur; goûtez-la, puis respirez-la à nouveau. Le meilleur d'un vrai Cognac se respire autant qu'il se boit.
A ce niveau, les discours sont inutiles. Jugez plutôt par vous-même la Grande Fine Adet V.S.O.P.
Et apprenez à vos amis à la déguster...
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Pour en parler, il faut les très vieux mots de la langue du Cognac
"Charnu": Qualité de corps d'un Cognac. Princes de Cognac a du charnu, mais un charnu sans "gras", un charnu svelte qui n'est que muscle. Ce qu'est un Botticelle à un Rubens.
"Fleur": Odeur de la fleur de vigne de la fine champagne, l'aristocrate de Cognac. Princes de Cognac, vieille fine champagne, "a de la fleur", une fleur élégante, épurée - qui a de "l'envolée, de la race".
"Fûts roux": Fûts très vieux, très civilisés, qui ont jeté leur gourme, expulsé leur excès de tanin. Princes de Cognac a vieilli dans des fûts roux. De là son goût sec, net, "boisé" avec mesure.
"Paradis": C'est ainsi que l'on appelle le chai où sont gardées les plus vieilles réserves de cognac. Princes de Cognac a été élevé dans le "paradis" de la Maison Otard, au Château de Cognac.
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Le signal donné, les moissonneurs prenaient la route, et je me mêlais à eux, je marchais comme au rythme du tam-tam. Les jeunes lançaient leurs faucilles en l'air et les rattrapaient au vol, poussaient des cris, criaient à vrai dire pour le plaisir de crier, esquissaient des pas de danse à la suite des joueurs de tam-tam. Et, certes, j'eusse sagement fait à ce moment de suivre les recommandations de ma grand'mère qui défendait de me trop mêler aux jongleurs, mais il y avait dans ces jongleries, dans ces faucilles tournoyantes que le soleil levant frappait d'éclairs subits, tant d'alacrité, et dans l'air tant d'allégresse, tant d'allant aussi dans le tam-tam, que je n'aurais pu me tenir à l'écart.
Et puis la saison où nous étions ne permettait pas de se tenir à l'écart. En décembre, tout est en fleur et tout sent bon; tout est jeune; le printemps semble s'unir à l'été, et la campagne, longtemps gorgée d'eau, longtemps accablée de nuées maussades, partout prend sa revanche, éclate; jamais le ciel n'est plus clair, plus resplendissant; les oiseaux chantent, ils sont ivres; la joie est partout, partout elle explose et dans chaque coeur retentit. C'était cette saison-là, la belle saison, qui me dilatait la poitrine, et le tam-tam aussi, je l'avoue, et l'air de fête de notre marche; c'était la belle saison et tout ce qu'elle contient - et qu'elle ne contient pas, qu'elle répand à profusion! - qui me faisait danser de joie.
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J'ai dîné chez Céleste. J'avais déjà commencé à manger lorsqu'il est entré une bizarre petite femme qui m'a demandé si elle pouvait s'asseoir à ma table. Naturellement, elle le pouvait. Elle avait des gestes saccadés et des yeux brillants dans une petite figure de pomme. Elle s'est débarrassée de sa jaquette, s'est assise et a consulté fiévreusement la carte. Elle a appelé Céleste et a commandé immédiatement tous ses plats d'une voix à la fois précise et précipitée. En attendant les hors-d'oeuvre, elle a ouvert son sac, en a sorti un petit carré de papier et un crayon, a fait d'avance l'addition, puis a tiré d'un gousset, augmentée du pourboire, la somme exacte qu'elle a placée devant elle. A ce moment, on lui a apporté des hors-d'oeuvre qu'elle a engloutis à toute vitesse. En attendant le plat suivant, elle a encore sorti de son sac un crayon blue et un magazine qui donnait les programmes radiophoniques de la semaine. Avec beaucoup de soin, elle a coché une à une presque toutes les émissions. Comme le magazine avait une douzaine de pages, elle a continué ce travail méticuleusement pendant tout le repas. J'avais déjà fini qu'elle cochait encore avec la même application. Puis elle s'est levée, a remis sa jaquette avec les mêmes gestes précis d'automate et elle est partie. Comme je n'avais rien à faire, je suis sorti aussi et je l'ai suivie un moment. Elle s'était placée sur la bordure du trottoir et avec une vitesse et une sûreté incroyables, elle suivant son chemin sans dévier et sans se retourner. J'ai fini par la perdre de vue et par revenir sur mes pas. J'ai pensé qu'elle était bizarre, mais je l'ai oubliée assez vite.
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Le spectacle d'un drame de la route fait toujours réfléchir. Ceux qui en ont été les témoins ne peuvent s'empêcher de penser, même s'ils sont des conducteurs prudents, qu'eux aussi demeurent à la merci d'un fou du volant, d'une défaillance mécanique, ou tout simplement de la malchance. On a calculé qu'en un an un automobiliste a une chance sur deux cent cinquante d'avoir un accident. Bien entendu, il s'agit d'un calcul purement théorique. En réalité certains conducteurs, par leur façon de se comporter habituellement au volant, sont des accidentés en puissance.
Il apparaît, en effet, si l'on considère les résultats d'enquêtes effectuées par les compagnies d'assurances ou par la Prévention Routière, que la cause principale des accidents n'est ni le mauvais état des routes ni les défaillances des véhicules, mais bien le conducteur lui-même.
A l'origine d'environ soixante-quinze pour cent des accidents on trouve une faute de conduite. Mauvaise appréciation des distances, réflexe tardif, coup de volant trop brusque, vitesse excessive, nervosité, imprudence, sont les mots qui reviennent le plus souvent dans les rapports de gendarmerie. Mais parmi les causes de ces défaillances il en est une qui les recouvre toutes et qui frappe par sa fréquence: l'alcool.
Un accident sur trois se produit par la faute de l'alcool. Sur les dix mille morts que provoquent chaque année les routes de France, plus de trois mille ont pour cause un excès de boisson. C'est une proportion trop importante pour laisser indifférent, mais c'est surtout un bien lourd tribut payé à une mauvaise habitude.
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Il pleure dans mon coeur ♫
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Que pénètra mon coeur?
O bruit doux de la pluie ♫
Par terre et sur les toits!
Pour un coeur qui s'ennuie
O le chant de la pluie!
Il pleure sans raison ♫
Dans ce coeur qui s'ecoeure.
Quoi! nulle trahison?
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine ♫
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon coeur a tant de peine.
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Un militaire de mes amis, qui mort de la fièvre en Grèce il y a quelques années, me conta un jour la première affaire à laquelle il avait assisté. Son récit me frappa tellement, que je l'écrivis de mémoire aussitôt que j'en eus le loisir. Le voici: ♫
«Je rejoignis le régiment le 4 septembre au soir. Je trouvai le colonel au bivac. Il me reçut d'abord assez brusquement; mais, après avoir lu la lettre de recommandation du général B. il changea de manières, et m'adressa quelques paroles obligeantes. ♫
Je fus présenté par lui à mon capitaine, qui revenait à l'instant même d'une reconnaissance. Ce capitaine, que je n'eus guère le temps de connaître, était un grand homme brun, d'une physionomie dure et repoussante. Il avait été simple soldat, et avait gagné ses épaulettes et sa croix sur les champs de bataille. Sa voix, qui était enrouée et faible, contrastait singulièrement avec sa stature presque gigantesque. On me dit qu'il devait cette voix étrange à une balle qui l'avait percé de part en part à la bataille d'Iéna. ♫
En apprenant que je sortais de l'école de Fontaine-bleau, il fit la grimace et dit: ♫
«Mon lieutenant est mort hier...» ♫
Je compris qu'il voulait dire: «C'est vous qui devez le remplacer, et vous n'en êtes pas capable.» Un mot piquant me vint sur les lèvres, mais je me contins. ♫
La lune se leva derrière la redoute de Cheverino, située à deux portées de canon de notre bivac. Elle était large et rouge comme cela est d'ordinaire à son lever. Mais, ce soir-là, elle me parut d'une grandeur extraordinaire. Pendant un instant, la redoute se détacha en noir sur le disque éclatant de la lune. Elle ressemblait au cône d'un volcan au moment de l'éruption. ♫
Un vieux soldat , auprès duquel je me trouvais, remarqua la couleur de la lune. ♫
«Elle est bien rouge, dit-il; c'est signe qu'il en coûtera bon pour l'avoir, cette fameuse redoute!» ♫
J'ai toujours été superstitieux, et cet augure, dans ce moment surtout, m'affecta. Je me couchai, mais je ne pus dormir. Je me levai, et je marchai quelque temps, regardant l'immense ligne de feux qui couvrait les hauteurs au-delà du village de Cheverino. ♫
Lorsque je crus que l'air frais et piquant de la nuit avait assez rafraîchi mon sang, je revins auprès du feu; je m'enveloppai soigneusement dans mon manteau, et je fermai les yeux, espérant ne pas les ouvrir avant le jour. Mais le sommeil me tint rigueur. Insensiblement mes pensées prenaient une teinte lugubre. Je me disais que je n'avais pas un ami parmi les cent mille hommes qui couvraient cette plaine. Si j'étais blessé, je serais dans un hôpital, traité sans égards par des chirurgiens ignorants. Ce que j'avais entendu dire des opérations chirurgicales me revint à la mémoire. Mon coeur battait avec violence, et machinalement je disposais comme une espèce de cuirasse, le mouchoir et le portefeuille que j'avais sur la poitrine. La fatigue m'accablait, je m'assoupissais à chaque instant, et à chaque instant quelque pensée sinistre se reproduisait avec plus de force et me réveillait en sursaut. ♫
Cependant la fatigue l'avait emporté, et, quand on battit la diane, j'étais tout à fait endormi. Nous nous mîmes en bataille, on fit l'appel, puis on remit les armes en faisceaux, et tout annonçait que nous allions passer une journée tranquille. ♫
Vers trois heures, un aide de camp arriva, apportant un ordre. On nous fit reprendre les armes; nos tirailleurs se répandirent dans la plaine, nous les suivîmes lentement, et, au bout de vingt minutes, nous vîmes tous les avant-postes des Russes se replier et rentrer dans la redoute. ♫
Une batterie d'artillerie vint s'établir à notre droite, une autre à notre gauche, mais toutes les deux bien en avant de nous. Elles commencèrent un feu très vif sur l'ennemi, qui riposta énergiquement, et bientôt la redoute de Cheverino disparut sous des nuages épais de fumée. ♫
Notre régiment était presque à couvert du feu des Russes par un pli de terrain. Leurs boulets, rares d'ailleurs pour nous (car ils tiraient de préférence sur nos canonniers), passaient au-dessus de nos têtes, ou tout au plus nous envoyaient de la terre et de petites pierres. ♫
Aussitôt que l'ordre de marcher en avant nous eût été donné, mon capitaine me regarda avec une attention qui m'obligea à passer deux ou trois fois la main sur me jeune moustache d'un air aussi dégagé qu'il me fut possible. Au reste, je n'avais pas peur, et la seule crainte que j'éprouvasse, c'était que l'on ne s'imaginât que j'avais peur. Ces boulets inoffensifs contribuèrent encore à me maintenir dans calme héroïque. Mon amour-propre me disait que je courais un danger réel, puisque enfin j'étais sous le feu d'une batterie. J'étais enchanté d'être si à mon aise, et je songeai au plaisir de raconter la prise de la redoute de Cheverino, dans le salon de Mme de B., rue de Provence. ♫
Le colonel passa devant notre compagne; il m'adressa la parole: «Eh bien, vous allez en voir de grises pour votre début.» ♫
Je souris d'un air tout à fait martial en brossant la manche de mon habit, sur laquelle un boulet, tombé à trente pas de moi, avait envoyé un peu de poussière. ♫
Il paraît que les Russes s'aperçurent du mauvais succès de leur boulets; car ils les remplacèrent par des obus qui pouvaient plus facilement nous atteindre dans le creux où nous étions postés. Un asses gros éclat m'enleva mon schako et tua un homme auprès de moi. ♫
«Je vous fais mon compliment, me dit le capitaine, comme je venais de ramasser mon schako, vous en voilà quitte pour la journée.» Je connaissais cette superstition militaire qui croit que l'axiome "non bis in idem" trouve son application aussi bien sur un champ de bataille que dans une cour de justice. Je remis fièrement mon schako. ♫
«C'est faire saluer les gens sans cérémonie», dis-je aussi gaiement que je pus. Cette mauvaise plaisanterie, vu la circonstance, parut excellente. ♫
«Je vous félicite, reprit le capitaine, vous n'aurez rien de plus, et vous commanderez une compagnie ce soir; car je sens bien que le four chauffe pour moi. Toutes les fois que j'ai été blessé, l'officier auprès de moi a reçu quelque balle morte, et, ajouta-t-il d'un ton plus bas et presque honteux, leurs noms commençaient toujours par un P.» ♫
Je fis l'esprit fort; bien des gens auraient fait comme moi; bien des gens auraient été aussi bien que moi frappés de ces paroles prophétiques. Conscrit comme je l'étais, je sentais que je ne pouvais confier mes sentiments à personne, et que je devais toujours paraître froidement intrépide. ♫
Au bout d'une demi-heure, le feu des Russes diminua sensiblement; alors nous sortîmes de notre couvert pour marcher sur la redoute. ♫
Notre régiment était composé de trois bataillons. Le deuxième fut chargé de tourner la redoute du côté de la gorge, les deux autres devaient donner l'assaut. J'étais dans le troisième bataillon. ♫
En sortant de derrière l'espèce d'épaulement qui nous avait protégés, nous fûmes reçus par plusieurs décharges de mousqueterie qui ne firent que peu de mal dans nos rangs. Le sifflement des balles me surprit: souvent je tournais la tête, et je m'attirai ainsi quelques plaisanteries de la part de mes camarades plus familiarisés avec ce bruit. ♫
«A tout prendre, me dis-je, une bataille n'est pas une chose si terrible.» ♫
Nous avancions au pas de course, précédés de tirailleurs: tout à coup les Russes poussèrent trois hourras, trois hourras distincts, puis demeurèrent silencieux et sans tirer. ♫
«Je n'aime pas ce silence, dit mon capitaine; cela ne nous présage rien de bon.» ♫
Je trouvai que nos gens étaient un peu trop bruyants, et je ne pus m'empêcher de faire intérieurement la comparaison de leurs clameurs tumultueuses avec le silence imposant de l'ennemi. ♫
Nous parvînmes rapidement au pied de la redoute, les palissades avaient été brisées et la terre bouleversée par nos boulets. Les soldats s'élancèrent sur ces ruines nouvelles avec des cris de "Vive l'empereur!" plus forts qu'on ne l'aurait attendu de gens qui avaient déjà tant crié. ♫
Je levai les yeux, et jamais je n'oublierai le spectacle que je vis. La plus grande partie de la fumée s'était élevée et restait suspendue comme un dais à vingt pieds au-dessus de la redoute. Au travers d'une vapeur bleuâtre, on apercevait derrière leur parapet à demi détruit les grenadiers russes, l'arme haute, immobiles comme des statues. Je crois voir encore chaque soldat, l'oeil gauche attaché sur nous, le droit caché par son fusil élevé. Dans une embrasure, à quelques pieds de nous, un homme tenant une lance à feu était auprès d'un canon. ♫
Je frissonai, et je crus que ma dernière heure était venue. ♫
«Voilà la danse qui va commencer, s'écria mon capitaine. Bonsoir!» ♫
Ce furent les dernières paroles que je l'entendis prononcer. ♫
Un roulement de tambours retentit dans la redoute. ♫
Je vis se baisser tous les fusils. Je fermai les yeux, et j'entendis un fracas épouvantable, suivi de cris et gémissements. J'ouvris les yeux, surpris de me trouver encore au monde. La redoute était de nouveau enveloppée de fumée. J'étais entouré de blessés et de morts. Mon capitaine était étendu à mes pieds: sa tête avait été broyée par un boulet, et j'étais couvert de sa cervelle et de son sang. De toute ma compagnie, il ne restait debout que six hommes et moi. ♫
A ce carnage succéda un moment de stupeur. Le colonel, mettant son chapeau au bout de son épée, gravit le premier le parapet en criant: "Vive l'empereur!" Il fut suivi aussitôt de tous les survivants. Je n'ai presque plus de souvenir net de ce qui suivit. Nous entrâmes dans la redoute, je ne sais comment. On se battit corps à corps au milieu d'une fumée si épaisse, que l'on ne pouvait se voir. Je crois que je frappai, car mon sabre se trouva tout sanglant. Enfin j'entendis crier: «Victoire!» et la fumée diminuant, j'aperçus du sang et des morts sous lesquels disparaissait la terre de la redoute. Les canons surtout étaient enterrés sous des tas de cadavres. Environ deux cents hommes debout, en uniforme français, étaient groupés sans ordre, les uns chargeant leurs fusils, les autres essuyant leurs baïonnettes. Onze prisonniers russes étaient avec eux. ♫
Le colonel était renversé tout sanglant sur un caisson brisé, près de la gorge. Quelques soldats s'empressaient autour de lui: je m'approchai. ♫
«Où est le plus ancien capitaine?» demandait-il à un sergent. ♫
Le sergent haussa les épaules d'une manière très expressive. ♫
«Et le plus ancien lieutenant? ♫
- Voici monsieur qui est arrivé d'hier», dit le sergent d'un ton tout à fait calme. ♫
Le colonel sourit amèrement. ♫
«Allons, monsieur, me dit-il, vous commandez en chef; faites promptement fortifier la gorge de la redoute avec ces chariots, car l'ennemi est en force; mais le général C. va vous faire soutenir. ♫
- Colonel, lui dis-je, vous êtes grièvement blessé? ♫
- F., mon cher, mais la redoute est prise!» ♫
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La Fumée de la Cantine
(Poèmes à Lou)
La fumée de la cantine est comme la nuit qui vient
Voix hautes ou graves le vin saigne partout
Je tire ma pipe libre et fier parmi mes camarades
Ils partiront avec moi pour les champs de bataille
Ils dormiront la nuit sous la plue ou les étoiles
Ils galoperont avec moi portant en croupe des victoires
Ils obéiront avec moi aux mêmes commandements
Ils écouteront attentifs les sublimes fanfares
Ils mourront près de moi et moi peut-être près d'eux
Ils souffriront du froid et du soleil avec moi
Ils sont des hommes ceux-ci qui boivent avec moi
Ils obéissent avec moi aux lois de l'homme
Ils regardent sur la route les femmes qui passent
Ils les désirent mais moi coeur mes sens et mon cerveau
Et qui sont ma patrie ma famille et mon espérance
A moi soldat amoureux soldat de la douce France
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On faisait cercle autour de M. Bermutier, juge d'instruction, qui donnait son avis sur l'affaire mystérieuse de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime affolait Paris. Personne n'y comprenait rien. ♫
M. Bermutier, debout, le dos à la cheminée, parlait, assemblait les preuves, discutait les diverses opinions, mais ne concluait pas. ♫
Plusieurs femmes s'étaient levées pour s'approcher et demeuraient debout, l'oeil fixé sur la bouche rasée du magistrat d'où sortaient les paroles graves. Elles frissonnaient, vibraient, crispées par leur peur curieuse, par l'avide et insatiable besoin d'epouvante qui hante leur âme, les torture comme une faim. ♫
Une d'elles, plus pâle que les autres, prononça pendant un silence: ♫
- C'est affreux. Cela touche au «surnaturel». On ne saura jamais rien. ♫
Le magistrat se tourna vers elle: ♫
- Oui, madame, il est probable qu'on ne saura jamais rien. Quant au mot «surnaturel» que vous venez d'employer, il n'a rien à faire ici. Nous sommes en présence d'un crime fort habilement conçu, fort habilement exécuté, si bien enveloppé de mystére que nous ne pouvons le dégager des circonstances impénétrables qui l'entourent. Mais j'ai eu, moi, autrefois, à suivre une affaire où vraiment semblait se mêler quelque chose de fantastique. Il a fallu l'abandonner, d'ailleurs, faute de moyens de l'éclaircir. ♫
Plusieurs femmes prononcèrent en même temps, si vite que leurs voix n'en firent qu'une: ♫
M. Bermutier sourit gravement, comme doit sourire un juge d'instruction. Il reprit: ♫
- N'allez pas croire, au moins, que j'aie pu, même un instant, supposer en cette aventure quelque chose de surhumain. Je ne crois qu'aux causes normales. Mais si, au lieu d'employer le mot «surnaturel» pour exprimer ce que nous ne comprenons pas, nous nous servions simplement du mot «inexplicable», cela vaudrait beaucoup mieux. En tout cas, dans l'affaire que je vais vous dire, ce sont surtout les circonstances préparatoires qui m'ont ému. Enfin, voici les faits: ♫
J'étais alors juge d'instruction à Ajaccio, une petite ville blanche, couchée au bord d'un admirable golfe qu'entourent partout de hautes montagnes. ♫
Ce que j'avais surtout à poursuivre là-bas, c'étaient les affaires de vendetta. Il y en a de superbes, de dramatiques au possible, de féroces, d'héroïques. Nous retrouvons là les plus beaux sujets de vengeance qu'on puisse rêver, les haines séculaires, apaisées un moment, jamais éteintes, les ruses abominables, les assassinats devenant des massacres et presque des actions glorieuses. Depuis deux ans, je n'entendais parler que du prix du sang, que de ce terrible préjugé corse qui force l'a faite, sur ses descendants et ses proches. J'avais vu égorger des vieillards, des enfants, des cousins, j'avais la tête pleine de ces histoires. ♫
Or, j'appris un jour qu'un Anglais venait de louer pour plusieurs années une petite villa au fond du golfe. Il avait amené avec lui un domestique français, pris à Marseille en passant. ♫
Bientôt tout le monde s'occupa de ce personnage singulier, qui vivait seul dans sa demeure, ne sortant que pour chasser et pour pêcher. Il ne parlait à personne, ne venait jamais à la ville, et, chaque matin, s'exerçait pendant une heure ou deux, à tirer au pistolet et à la carabine. ♫
Des Légendes se firent autour de lui. On prétendit que c'était un haut personnage fuyant sa patrie pour des raisons politiques; puis on affirma qu'il se cachait après avoir commis un crime épouvantable. On citait même des circonstances particulièrement horribles. ♫
Je voulus, en ma qualité de juge d'instruction, prendre quelques renseignements sur cet homme; mais il me fut impossible de rien apprendre. Il se faisait appeler sir John Rowell. ♫
Je me contentai donc de le surveiller de près; mais on ne me signalait, en réalité, rien de suspect à son égard. ♫
Cependant, comme les rumeurs sur son compte continuaient, grossissaient, devenaient générales, je résolus d'essayer de voir moi-même cet étranger, et je me mis à chasser régulièrement dans les environs de sa propriété. ♫
J'attendis longtemps une occasion. Elle se présenta enfin sous la forme d'une perdrix que je tirai et que je tuai devant le nez de l'Anglais. Mon chien me la rapporta; mais, prenant aussitôt le gibier, j'allai m'excuser de mon inconvenance et prier sir John Rowell d'accepter l'oiseau mort. ♫
C'était un grand homme à cheveux rouges, à barbe rouge, très haut, très large, une sorte d'hercule placide et poli. Il n'avait rien de la raideur dite britannique et il me remercia vivement de ma délicatesse en un français accentué d'outre-Manche. Au bout d'un mois, nous avions causé ensemble cinq ou six fois. ♫
Un soir enfin, comme je passais devant sa porte, je l'aperçus qui fumait sa pipe, à cheval sur une chaise, dans son jardin. Je le saluai, et il m'invita à entrer pour boire un verre de bière. Je ne me le fis pas répéter. ♫
Il me reçut avec toute la méticuleuse courtoisie anglaise, parla avec éloge de la France, de la Corse, déclara qu'il aimait beaucoup "cette" pays, "cette" rivage. ♫
Alors, je lui posai, avec de grandes précautions et sous la forme d'un intérêt très vif, quelques questions sur sa vie, sur ses projets. Il répondit sans embarras, me raconta qu'il avait beaucoup voyagé, en Afrique, dans les Indes, en Amérique. Il ajouta en riant: ♫
- J'avé eu bôcoup d'aventures, oh ! yes. ♫
Puis je me remis à parler chasse, et il me donna des détails les plus curieux sur la chasse à l'hippopotame, au tigre, à l'éléphant et même la chasse au gorille. ♫
- Tous ces animaux sont redoutables. ♫
- Oh ! nô, le plus mauvais c'été l'homme. ♫
Il se mit à rire tout à fait, d'un bon rire de gros Anglais content: ♫
- J'avé beaucoup chassé l'homme aussi. ♫
Puis il parla d'armes, et il m'offrit d'entrer chez lui pour me montrer des fusils de divers systèmes. ♫
Son salon était tendu de noir, de soie noire brodée d'or. De grandes fleurs jaunes couraient sur l'étoffe sombre, brillaient comme du feu. ♫
Mais, au milieu du plus large panneau, une chose étrange me tira l'oeil. Sur un carré de velours rouge, un objet noir se détachait. Je m'approchai: c'était une main, une main d'homme. Non pas une main de squelette, blanche et propre mais une main noire desséchée, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme d'un coup de hache, vers le milieu de l'avant-bras. ♫
Autour du poignet, une énorme chaîne de fer, rivée, soudée à ce membre malpropre, l'attachait au mur par un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse. ♫
L'Anglais répondit tranqillement: ♫
- C'été ma meilleur ennemi. Il vené d'Amérique. Il avé été fendu avec le sabre et arraché la peau avec une caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit jours. Aoh, très bonne pour moi, cette. ♫
Je touchai ce débris humain qui avait dû appartenir à un colosse. Les doigts, démesurèment longs, étaient attachés par des tendons énormes que retenaient des lanières de peau par places. Cette main était affreuse à voir, écorchée ainsi, elle faisait penser naturellement à quelque vengeance de sauvage. ♫
- Cet homme devait être très fort. ♫
L'Anglais prononça avec douceur: ♫
- Aoh yes; mais je été plus fort que lui.J' avé mis cette chaîne pour le tenir. ♫
Je crus qu'il plaisantait. je dis: ♫
- Cette chaîne maintenant est bien inutile, la main ne se sauvera pas. ♫
Sir John Rowell reprit gravement: ♫
- Elle voulé toujours s'en aller. Cette chaîne nécessaire. ♫
D'un coup d'oeil rapide j'interrogeai son visage, me demandant: ♫
- Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant? ♫
Mais la figure demeurait impénétrable, tranquille et bienveillante. Je parlai d'autre chose et j'admirai les fusils. ♫
Je remarquai cependant que trois revolvers chargés étaient posés sur les meubles, comme si cet homme eût vécu dans la crainte constante d'une attaque. ♫
je revins plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'était accoutumé à sa présence; il était devenu indifférent à tous. ♫
Une année entière s'écoula. Or, un matin, vers la fin de novembre, mon domestique me réveilla en m'annonçant que sir John Rowell avait été assassiné dans la nuit. ♫
Une demi-heure plus tard, je pénétrais dans la maison de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine de gendarmerie. Le valet, éperdu et désespéré, pleurait devant la porte. Je soupçonnnai d'abord cet homme, mais il était innocent. ♫
On ne put jamais trouver le coupable. ♫
En entrant dans le salon de sir John, j'aperçus du premier coup d'oeil le cadavre étendu sur le dos, au milieu de la pièce. ♫
Le gilet était déchiré, une manche arrachée pendait, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu. ♫
L'Anglais était mort étranglé! Sa figure noire et gonflée, effrayante, semblait exprimer une épouvante abominable; il tenait entre ses dents serrées quelque chose; et le cou, percé de cinq trous qu'on aurait dits faits avec des pointes de fer, était couvert de sang. ♫
Un médecin nous rejoignit. Il examina longtemps les traces des doigts dans la chair et prononça ces étranges paroles: ♫
- On dirait qu'il a été étranglé par un squelette. ♫
Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux sur le mur, à la place où j'avais vu jadis l'horrible main d'écorché. Elle n'y était plus, La chaîne, brisée, pendait. ♫
Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans sa bouche crispée un des doigts de cette main disparue, coupé ou plutôt scié par les dents juste à la deuxième phalange. ♫
Puis on procéda aux constatations. On ne découvrit rien. Aucune porte n'avait été forcée, aucune fenêtre, aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s'étaient pas réveillés. ♫
Voici, en quelque mots, la déposition du domestique: ♫
Depuis un mois, son maître semblait agité. Il avait reçu beaucoup de lettres, brûlées à mesure. ♫
Souvent, prenait une cravache, dans une colère qui semblait de la démence, il avait frappé avec fureur cette main séchée, scellée au mur et enlevée, on ne sait comment, à l'heure même du crime. ♫
Il se couchait fort tard et s'enfermait avec soin. Il avait toujours des armes à portée du bras. Souvent, la nuit, il parlait haut, comme s'il se fût querellé avec quelqu'un. ♫
Cette nuit-là, par hasard, il n'avait fait aucun bruit, et c'est seulement en venant ouvrir les fenêtres que le serviteur avait trouvé sir John assassiné. Il ne soupçonnait personne. ♫
Je communiquai ce que je savais de mort aux magistrats et aux officiers de la force publique, et on fit dans toute l'île une enquête minutieuse. On ne découvrit rien. ♫
Or, une nuit, trois mois après le crime, j'eus un affreux cauchemar. Il me sembla que je voyais la main, l'horrible main courir comme un scorpion ou comme une araignée le long de mes rideaux et de mes murs. trois fois, je me réveillai, trois fois je me rendormis, trois fois je revis le hideux débris galoper autour de ma chambre en remuant les doigts comme des pattes. ♫
Le lendemain, on me l'apporta, trouvé dans le cimetière, sur la tombe de sir John Rowell, enterré là; car on n'avait pu découvrir sa famille. L'index manquait. ♫
Voilà, mesdames, mon histoire. Je ne sais rien de plus. ♫
Les femmes, éperdues, étaient pâles, frissonnantes. Une d'elles s'écria: ♫
- Mais ce n'est pas un dénouement cela, ni une explication! Nous n'allons pas dormir si vous ne nous dites pas ce qui s'était passé, selon vous. ♫
Le Magistrat sourit avec sévérité: ♫
- Oh! moi, mesdames, je vais gâter, certes, vos rêves terribles. Je pense tout simplement n'était pas mort, qu'il est venu la chercher avec celle qui lui restait. Mais je n'ai pu savoir comment il a fait, par exemple. C'est là une sorte de vendetta. ♫
- Non, ça ne doit pas être ainsi. ♫
Et le juge d'instruction, souriant toujours, conclut: ♫
- Je vous avais bien dit que mon explication ne vous irait pas. ♫
━━━ ◇ ━━━
Je l'avais aimée éperdument! Pourquoi aime-t-on? Est-ce bizarre de ne plus voir dans le monde qu'un être, de n'avoir plus dans l'esprit qu'une pensée, dans le coeur qu'un désir, et dans la bouche qu'un nom: un nom qui monte incessamment, qui monte, comme l'eau d'une source, des profondeurs de l'âme, qui monte aux lèvres, et qu'on dit, qu'on redit, qu'on murmure sans cesse, partout, ainsi qu'une prière. ♫
Je ne conterai point notre histoire. L'amour n'en a qu'une, toujours la même. Je l'avais rencontrée et aimée. Voilà tout. Et j'avais vécu pendant un an dans sa tendresse, dans ses bras, dans sa caresse, dans son regard, dans ses robes, dans sa parole, enveloppé, lié, emprisonné dans tout ce qui venait d'elle, d'une façon si complète que je ne savais plus s'il faisait jour ou nuit, si j'étais mort ou vivant, sur la vieille terre ou ailleurs. ♫
Et voilà qu'elle mourut. Comment? Je ne sais pas, je ne sais plus. ♫
Elle rentra mouillée, un soir de pluie, et le lendemain, elle toussait. Elle toussa pendant une semaine environ et prit le lit. ♫
Que s'est-il passé? Je ne sais plus. ♫
Des médecins venaient, écrivaient, s'en allaient. On apportait des remèdes; une femme les lui faisait boire. Ses mains étaient chaudes, son front brûlant et humide, son regard brillant et triste. je lui parlais, elle me répondait. Que nous sommes-nous dit? Je ne sais plus. J'ai tout oublié, tout, tout! Elle mourut, je me rappelle très bien son petit soupir si faible, le dernier. La garde dit: «Ah!» Je compris, je compris! ♫
Je n'ai plus rien su. Rien. Je vis un prêtre qui prononça ce mot: «Votre maîtresse». Il me sembla qu'il l'insultait. Puisqu'elle était morte on n'avait plus le droit de savoir cela. Je le chassai. Un autre vint qui fut très bon, très doux. Je pleurai quand il me parla d'elle. ♫
On me consulta sur mille choses pour l'enterrement. je ne sais plus. Je me rappelle cependant très bien le cercueil, le bruit des coups de marteau quand on la cloua dedans. Ah! mon Dieu! ♫
Elle fut enterrée! Enterrée! Elle! dans ce trou! Quelques personnes étaient venues, des amies. Je me sauvai. je courus. Je marchai longtemps à travers des rues. Puis je rentrai chez moi. Le lendemain je partis pour un voyage. ♫
Hier, je suis rentré à Paris. ♫
Quand je vis ma chambre, notre chambre, notre lit, nos meubles, toute cette maison où était resté tout ce qui reste de la vie d'un être après sa mort, je fus saisi par un retour de chagrin si violent que je faillis ouvrir la fenêtre et me jeter dans la rue. Ne pouvant plus demeurer au milieu de ces choses, de ces murs qui l'avaient enfermée, abritée, et qui devaient garder dans leurs imperceptibles fissures mille atomes d'elle, de sa chair et de son souffle, je pris mon chapeau, afin de me sauver. Tout à coup, au moment d'atteindre la porte, je passai devant la grande glace du vestibule qu'elle avait fait poser là pour se voir, des pieds à la tête, chaque jour, en sortant, pour voir si toutes sa toilette allait bien, était correcte et jolie, des bottines à la coiffure. ♫
Et je m'arrêtai net en face de ce miroir qui l'avait si souvent reflétée. Si souvent, si souvent, qu'il avait dû garder aussi son image. ♫
J'étais là debout, frémissant, les yeux fixés sur le verre, sur le verre plat, profond, vide, mais qui l'avait contenue tout entière, possédée autant que moi, autant que mon regard passionné. Il me semble que j'aimais cette glace, - je la touchai, - elle était froide! Oh! le souvenir! le souvenir! miroir douloureux, miroir brûlant, miroir vivant, miroir horrible, qui fait souffrir toutes les tortures! Heureux les hommes dont le coeur, comme une glace où glissent et s'effacent les reflets, oublié tout ce qu'il a contenu, tout ce qui a passé devant lui, tout ce qui s'est contemplé, miré, dans son affection, dans son amour! Comme je souffre! ♫
Je sortis et, malgré moi, sans savoir, sans le vouloir, j'allai vers le cimetière. Je trouvai sa tombe toute simple, une croix de marbre avec ces quelques mots: «Elle aima, fut aimée, et mourut». ♫
Elle était là, là-dessous, pourrie! Quelle horreur! Je sanglotais, le front sur le sol. ♫
J'y restai longtemps, longtemps. Puis je m'aperçus que le soir venait. Alors un désir bizarre, fou, un désir d'amant désespéré s'empara de moi. Je voulus passer la nuit près d'elle, dernière nuit, à pleurer sur sa tombe. Mais on me verrait, on me chasserait. Comment faire? Je fus rusé. Je me levai et me mis à errer dans cette ville des disparus. J'allais, j'allais. Comme elle est petite cette ville à côté de l'autre, celle où l'on vit! Et pourtant comme ils sont plus nombreux que les vivants, ces morts. Il nous faut de hautes maisons, des rues, tant de place, pour les quatre générations qui regardent le jour en même temps, boivent l'eau des sources, le vin des vignes et mangent le pain des plaines. ♫
Et pour toutes les générations des morts, pour toute l'échelle de l'humanité descendue jusqu'à nous, presque rien, un champ, presque rien! La terre les reprend, l'oubli les efface. Adieu! ♫
Au bout du cimetière habité, j'aperçus tout à coup le cimetière abandonné, celui où les vieux défunts achèvent de se mêler au sol, où les croix elles-mêmes pourrissent, où l'on mettra demain les derniers venus. Il est plein de roses libres, de cyprès vigoureux et noirs, un jardin triste et superbe, nourri de chair humaine. ♫
J'étais seul, bien seul. Je me blottis dans un arbre vert. Je m'y cachai tout entier, entre ces branches grasses et sombres. ♫
Et j'attendis, cramponné au tronc comme un naufragé sur une épave. ♫
Quand la nuit fut noire, très noire, je quittai mon refuge et me mis à marcher doucement, à pas lents, à pas sourds, sur cette terre pleine de morts. ♫
J'errai longtemps, longtemps, longtemps. Je ne la retrouvais pas. Les bras étendus, les yeux ouverts, heurtant des tombes avec mes mains, avec mes pieds, avec mes genoux, avec ma poitrine, avec ma tête elle-même, j'allais sans la trouver. Je touchais, je palpais comme un aveugle qui cherche sa route, je palpais des pierres, des croix, des grilles de fer, des couronnes de verre, des couronnes de fleurs fanées! Je lisais les noms avec mes doigts, en les promenant sur les lettres. Quelle nuit! quelle nuit! Je ne la retrouvais pas! ♫
Pas de lune! Quelle nuit! j'avais peur, une peur affreuse dans ces étroits sentiers, entre deux lignes de tombes! Des tombes! des tombes! des tombes! Toujours des tombes! A droite, à gauche, devant moi, autour de moi, partout, des tombes! Je m'assis sur une d'elles, car je ne pouvais plus marcher tant mes genoux fléchissaient. J'entendais battre mon coeur! Et j'entendais autre chose aussi! Quoi? un bruit confus innommable! Etait-ce dans ma tête affolée, dans la nuit impénétrable, ou sous la terre mystérieuse, sous la terre ensemencée de cadavres humains, ce bruit? Je regardais autour de moi! ♫
Combien de temps suis-je resté là? Je ne sais pas. J'étais paralysé par la terreur, j'étais ivre d'épouvante, prêt à hurler, prêt à mourir. ♫
Et soudain il me sembla que la dalle de marbre sur laquelle j'étais assis remuait. Certes, elle remuait, comme si on l'eût soulevée. D'un bond, je me jetai sur le tombeau voisin, et je vis, oui, je vis la pierre que je venais de quitter se dresser toute droite; et le mort apparut, un squelette nu qui, de son dos courbé la rejetait. Je voyais, je voyais très bien, quoique la nuit fut profonde. Sur la croix je pus lire: ♫
«Ici repose Jacques Olivant, décédé à l'âge de cinquante et un ans. Il aimait les siens, fût honnête et bon, et mourut dans la paix du Seigneur.» ♫
Maintenant le mort aussi lisait les choses écrites sur son tombeau. Puis il ramassa une pierre dans le chemin, une petite pierre aiguë, et se mit à les gratter avec soin, ces choses. Il les effaça tout à fait, lentement, regardant de ses yeux vides la place où tout à l'heure elles étaient gravées; et, du bout de l'os qui avait été son index, il écrivit en lettres lumineuses comme ces lignes qu'on trace aux murs avec le bout d'une allumette: ♫
«Ici repose Jacques Olivant, décédé à l'âge de cinquante et un ans. Il hâta par ses duretés, la mort de son père dont il désirait hériter, il tortura sa femme, tourmenta ses enfants, trompa ses voisins, vola quand il le put et mourut misérables.» ♫
Quand il eut achevé d'écrire, le mort immobile contempla son oeuvre. Et je m'aperçus, en me retournant, que toutes les tombes étaient ouvertes, que tous les cadavres en étaient sortis, que tous avaient effacé les mensonges inscrits par les parents sur la pierre funéraire, pour y rétablir la vérité. ♫
Et je voyais que tous avaient été les bourreaux de leurs proches, haineux, déshonnêtes, hypocrites, menteurs, fourbes, calomniateurs, envieux, qu'ils avaient volé, trompé, accompli tous les actes honteux, tous les actes abominables, ces bons pères, ces épouses fidèles, ces fils dévoués, ces jeunes filles chastes, ces commerçants probes, ces hommes et ces femmes dits irréprochables. ♫
Ils écrivaient tous en même temps, sur le seuil de leur demeure éternelle, la cruelle, terrible et sainte vérité que tout le monde ignore ou feint d'ignorer sur la terre. ♫
Je pensai qu'«elle» aussi avait dû la tracer sur sa tombe. Et sans peur maintenant, courant au milieu des cercueils entr'ouverts, au milieu des cadavres, au milieu des squelettes, j'allai vers elle, sûr que je la trouverais aussitôt. ♫
Je la reconnus de loin, sans voir le visage enveloppé du suaire. ♫
Et sur la croix de marbre où tout à l'heure j'avais lu: ♫
«Elle aima, fut aimée, et mourut», ♫
«êtant sortie un jour pour tromper son amant, elle eut froid sous la pluie, et mourut.» ♫
Il paraît qu'on me ramassa, inanimé, au jour levant, auprès d'une tombe. ♫
━━━ ◇ ━━━
Les voiles sans mouvement pendaient collées contre les mâts; la mer était unie comme une glace, la chaleur était étouffante, le calme désespérant. ♫
Dans un voyage sur mer, les ressources d'amusement que peuvent offrir les hôtes d'un vaisseau sont bientôt épuisées. On se connaît trop bien, hélas! lorsqu'on a passé quatre mois ensemble dans une maison de bois longue de cent vingt pieds. Quand vous voyez venir le premier lieutenant, vous savez d'abord qu'il vous parlera de Rio-Janeiro, d'où il vient; puis du fameux pont d'Essling, qu'il a vu faire par les marins de la garde, dont il faisait partie. Au bout de quinze jours, vous connaissez jusqu'aux expressions qu'il affectionne, jusqu'à la ponctuation de ses phrases, aux différentes intonations de sa voix. Quand jamais a-t-il manqué de s'arrêter tristement après avoir prononcé pour la première fois dans son récit ce mot, "l'empereur..." «Si vous l'aviez vu alors!!!» (trois points d'admiration) ajoute-t-il invariablement. Et l'épisode du cheval du trompette, et le boulet qui ricoche et qui emporte une giberne où il y avait pour sept mille cinq francs en or et en bijoux, etc., etc.! - Le second lieutenant est un grand politique; il commence tous les jours le dernier numéro du "Constitutionnel", qu'il a emporté de Brest; ou, s'il quitte les sublimités de la politique pour descendre à la littérature, il vous régalera de l'analyse du dernier vaudeville qu'il a vu jouer. Grand Dieu!... Le commissaire de marine possédait une histoire bien intéressante. Comme il nous enchanta la première fois qu'il nous raconta son évasion, ma foi, l'on n'y pouvait plus tenir... - Et les enseignes, et les aspirants!... Le souvenir de leurs conversations me fait dresser les cheveux à la tête. Quant au capitaine, généralement, c'est le moins ennuyeux du bord. En sa qualité de commandant despotique, il se trouve en état d'hostilité secrète contre tout l'état-major; il vexe, il opprime quelquefois, mais il y a un certain plaisir à pester contre lui. S'il a quelque manie fâcheuse pour ses subordonnés, on a le plaisir de voir son supérieur ridicule, et cela console un peu. ♫
A bord du vaisseau sur lequel j'étais embarqué, les officiers étaient les meilleures gens du monde, tous bons diables, s'aimant comme des frères, mais s'ennuyant à qui mieux mieux. Le capitaine était le plus doux des hommes, point tracassier (ce qui est une rareté). C'était toujours à regret qu'il faisait sentir son autorité dictatoriale. Pourtant, que le voyage me parut long! surtout ce calme qui nous prit quelques jours seulement avant de voir la terre!... ♫
Un jour, après le dîner, que le désoeuvrement nous avait prolonger aussi longtemps qu'il était humainement possible, nous étions tous rassemblés sur le pont, attendant le spectacle monotone mais toujours majestueux d'un coucher de soleil en mer. Les uns fumaient, d'autres relisaient pour la vingtième fois un des trente volumes de notre triste bibliothèque; tous bâillaient à pleurer. Un enseigne assis à côté de moi s'amusait, avec toute la gravité digne d'une occupation sérieuse, à laisser tomber, la pointe en bas, sur les planches du tillac, le poignard que les officiers de marine portent ordinairement en petite tenue. C'est un amusement comme un autre, et qui exige de l'adresse pour que la pointe se pique bien perpendiculairement dans le bois. Désirant faire comme l'enseigne, et n'ayant point de poignard à moi, je voulus emprunter celui du capitaine, mais il me refusa. Il tenait singulièrement à cette arme, et même il aurait été fâché de la voir servir à un amusement aussi futile. Autrefois ce poignard avait appartenu à un brave officier mort malheureusement dans la dernière guerre... Je devinai qu'une histoire allait suivre, je ne me trompais pas. Le capitaine commença sans se faire prier; quant aux officiers qui nous entouraient, comme chacun d'eux connaissait par coeur les infortunes du lieutenant Roger, ils firent aussitôt une retraite prudente. Voici à peu près quel fut le récit du capitaine: ♫
Roger, quand je le connus, était plus âgé que moi de trois ans; Il était lieutenant; moi, j'étais enseigne. Je vous assure que c'était un des meilleurs officiers de notre corps; d'ailleurs, un coeur excellent, de l'esprit, de l'instruction, des talents, en un mot un jeune homme charmant. Il était malheureusement un peu fier et susceptible; ce qui tenait, je crois, à ce qu'il était enfant naturel, et qu'il craignait que sa naissance ne lui fît perdre de la considération dans le monde; mais, pour dire la vérité, de tous ses défauts, le plus grand, c'était un désir violent et continuel de primer partout où il se trouvait. Son père, qu'il n'avait jamais vu, lui faisait une pension qui aurait été bien plus que suffisante pour ses besoins, si Roger n'eût pas été la générosité même. Tout ce qu'il avait était à ses amis. Quand il venait de toucher son trimestre, c'était à qui irait le voir avec une figure triste et soucieuse: ♫
«Eh bien, camarade, qu'as-tu? demandait-il; tu m'as l'air de ne pouvoir pas faire grand bruit en frappant sur tes poches: allons, voici ma bourse, prends ce qu'il te faut, et viens-t'en dîner avec moi.» ♫
Il vint à Brest une jeune actrice fort jolie, nommée Gabrielle, qui ne tarda pas à faire des conquêtes parmi les marins et les officiers de la garnison. Ce n'était pas une beauté régulière, mais elle avait de la taille, de beaux yeux, le pied petit, l'air passablement effronté; tout cela plaît fort quand on est dans les parages de vingt à vingt-cinq ans. On la disait par-dessus le marché la plus capricieuse créature de son sexe, et sa manière de jouer ne démentait pas cette réputation. Tantôt elle jouait à ravir, on eût dit une comédienne du premier ordre; le lendemain, dans la même pièce elle était froide, insensible; elle débitait son rôle comme un enfant récite son catéchisme. Ce qui intéressa surtout nos jeunes gens, ce fut l'histoire suivante que l'on racontait d'elle. Il parait qu'elle avait été entretenue très richement à Paris par un sénateur qui faisait, comme l'on dit, des folies pour elle. Un jour, cet homme, se trouvant chez elle, mit son chapeau sur sa tête; elle le pria de l'ôter, et se plaignit même qu'il lui manquât de respect. Le sénateur se mit à rire, leva les épaules, et dit en se carrant dans un fauteuil: «C'est bien le moins que je me mette à mon aise chez une fille que je paie.» Un bon soufflet de crocheteur, détaché par la main blanche de la Gabrielle, le paya aussitôt de sa réponse et jeta son chapeau à l'autre bout de la chambre. De là rupture complète. Des banquiers, des généraux avaient fait des offres considérables à la dame; mais elle les avait toutes refusées, et s'était faite actrice, afin, disait-elle, de vivre indépendante. ♫
Lorsque Roger la vit et qu'il apprit cette histoire, il jugea que cette personne était son fait, et, avec la franchise un peu brutale qu'on nous reproche, à nous autres marins, voici comment il s'y prit pour lui montrer combien il était touché de ses charmes. Il acheta les plus belles fleurs et les plus rares qu'il put trouver à Brest, en fit un bouquet qu'il attacha avec un beau ruban rose, et, dans le noeud, arrangea très proprement un rouleau de vingt-cinq napoléons; c'était tout ce qu'il possédait pour le moment. Je me souviens que je l'accompagnai dans les coulisses pendant un entracte. Il fit à Gabrielle un compliment fort court sur la grâce qu'elle avait à porter son costume, lui offrit le bouquet et lui demanda la permission d'aller la voir chez elle. Tout cela fut dit en trois mots. ♫
Tant que Gabrielle ne vit que les fleurs et le beau jeune homme qui les lui présentait, elle lui souriait, accompagnant son sourire d'une révérence des plus gracieuses; mais, quand elle eut le bouquet entre les mains et qu'elle sentit le poids, de l'or, sa physionomie changea plus rapidement que la surface de la mer soulevée par un ouragan des tropiques; et certes elle ne fut guère moins méchante, car elle lança de toute sa force le bouquet et les napoléons à la tête de mon pauvre ami, qui en porta les marques sur la figure pendant plus de huit jours. La sonnette du régisseur se fit entendre, Gabrielle entra en scène et joua tout de travers. ♫
Roger ayant ramassé son bouquet et son rouleau d'or d'un air bien confus, s'en alla au café offrir le bouquet (sans l'argent) à la demoiselle du comptoir, et essaya, en buvant du punch, d'oublier la cruelle. Il n'y réussit pas; et, malgré le dépit qu'il éprouvait de ne pouvoir se montrer avec son oeil poché, il devint amoureux fou de la colérique Gabrielle. Il lui écrivait vingt lettre par jour, et quelles lettres! soumises, tendres, respectueuses, telles qu'on pourrait les adresser à une princesse. Les premières lui furent renvoyées sans être décachetées; les autre n'obtinrent pas de réponse. Roger cependant conservait quelque espoir, quand nous découvrîmes que la marchande d'oranges du théâtre enveloppait ses oranges avec les lettres d'amour de Roger, que Gabrielle lui donnait par un raffinement de méchanceté. Ce fut un coup terrible pour la fierté de notre ami. Pourtant sa passion ne diminua pas. Il parlait de demander l'actrice en mariage; et, comme on lui disait que le ministre de la Marine n'y donnerait jamais son consentement, il s'écriait qu'il se brûlerait la cervelle. ♫
Sur ces entrefaites, il arriva que les officiers d'un régiment de ligne en garnison à Brest voulurent faire répéter un couplet de vaudeville à Gabrielle, qui s'y refusa par pur caprice. Les officiers et l'actrice s'opiniâtrèrent si bien que les uns firent baisser la toile par leurs sifflets, et que l'autre s'évanouit. Vous savez ce que c'est que le parterre d'une ville de garnison. Il fut convenu entre les officiers que, le lendemain et les jours suivants, la coupable serait sifflée sans rémission, qu'on ne lui permettrait pas de jouer un seul rôle avant qu'elle eût fait amende honorable avec l'humilité nécessaire pour expier son crime. Roger n'avait point assisté à cette représentation; mais il apprit, le soir même, le scandale qui avait mis tout le théâtre en confusion, ainsi que les projets de vengeance qui se tramaient pour le lendemain. Sur-le-champ son parti fut pris. ♫
Le lendemain, lorsque Gabrielle parut, du banc des officiers partirent des huées et des sifflets à fendre les oreilles. Roger, qui s'était placé à dessein tout auprès des tapageurs, se leva et interpella les plus bruyants en termes si outrageux, que toute leur fureur se tourna aussitôt contre lui. Alors, avec un grand sang-froid, il tira son carnet de sa poche, et inscrivit les noms qu'on lui criait de toutes parts; il aurait pris rendez-vous pour se battre avec tout le régiment, si, par esprit de corps, un grand nombre d'officiers de marine ne fussent survenus, et n'eussent provoqué la plupart de ses adversaires. La bagarre fut vraiment effroyable. ♫
Toute la garnison fut consignée pour plusieurs jours; mais, quand on nous rendit la liberté, il y eut un terrible compte à régler. Nous nous trouvâmes une soixantaine sur le terrain. Roger, seul, se battit successivement contre trois officiers; il en tua un, et blessa grièvement les deux autres sans recevoir un égratignure. Je fus moins heureux pour ma part: un maudit lieutenant, qui avait été maître d'armes, me donna dans la poitrine un grand coup d'épée, dont je manquai mourir. Ce fut, je vous assure, un beau spectacle que ce duel, ou plutôt cette bataille. La marine eut tout l'avantage, et le régiment fut obligé de quitter Brest. ♫
Vous pensez bien que nos officiers supérieurs n'oublièrent pas l'auteur de la querelle. Il eut pendant quinze jours une sentinelle à sa porte. ♫
Quand ses arrêts furent levés, je sortis de l'hôpital, et j'allai le voir. Quelle fut ma surprise, ene entrant chez lui, de le voir assis à déjeuner, tête à tête avec Gabrielle! Ils avaient l'air d'être depuis longtemps en parfaite intelligence. Déjà ils se tutoyaient et se servaient du même verre. Roger me présenta à sa maîtresse comme son meilleur ami, et lui dit que j'avais été blessé dans l'espèce d'escarmouche dont elle avait été la première cause. Cela me valut un baiser de cette belle personne. Certes fille avait les inclinations toutes martiales. ♫
Ils passèrent trois mois ensemble parfaitement heureux, ne se quittant pas d'un instant. Gabrielle paraissait l'aimer jusqu'à la fureur, et Roger avouait qu'avant de connaître Gabrielle il n'avait pas connu l'amour. ♫
Une frégate hollandaise entra dans le port. Les officiers nous donnèrent à dîner. On but largement de toutes sortes de vins; et la nappe ôtée, ne sachant que faire, car ces messieurs parlaient très mal français, on se mit à jouer. Les Hollandais paraissaient avoir beaucoup d'argent; et leur premier lieutenant surtout voulait jouer si gros jeu, que pas un de nous ne se souciait de faire sa partie. Roger, qui ne jouait pas d'ordinaire, crut qu'il s'agissait dans cette occasion de soutenir l'honneur de son pays. Il joua donc, et tint tout ce que voulut le lieutenant hollandais. Il gagna d'abord, puis perdit. Après quelques alternatives de gain et de perte, ils se séparèrent sans avoir rien fait. Nous rendîmes le dîner aux officiers hollandais. On joua encore. Roger et le lieutenant furent remis aux prises. Bref, pendant plusieurs jours, ils se donnèrent rendez-vous, soit au café, soit à bord, essayant toutes sortes de jeux, surtout le trictrac, et augmentant toujours leurs paris, si bien qu'ils en vinrent à jouer vingt-cinq napoléons la partie. C'était une somme énorme pour de pauvres officiers comme nous: plus de deux mois de solde! Au bout d'une semaine Roger avait perdu tout l'argent qu'il possédait, plus trois ou quatre mille francs empruntés à droite et à gauche. ♫
Vous vous doutez bien que Roger et Gabrielle avaient fini par faire ménage commun et bourse commune: c'est-à-dire que Roger, qui venait de toucher une forte part de prises, avait mis à la masse dix ou vingt fois plus que l'actrice. Cependant il considérait toujours que cette masse appartenait principalement à sa maîtresse, et il n'avait gardé pour ses dépenses particulières qu'une cinquantaine de napoléons. Il avait été cependant obligé de recourir à cette réserve pour continuer à jouer. Gabrielle ne lui fit pas la moindre observation. ♫
L'argent du ménage prit le même chemin que son argent de poche. Bientôt Roger fut réduit à jouer ses derniers vingt-cinq napoléons. Il s'appliquait horriblement; aussi la partie fut-elle longue et disputée. Il vint un moment, où Roger, tenant le cornet, n'avait plus qu'une chance pour gagner: je crois qu'il lui fallait six quatre. La nuit était avancée. Un officier qui les avait longtemps regardés jouer avait fini par s'endormir sur un fauteuil. Le Hollandais était fatigué et assoupi; en outre, il avait bu beaucoup de punch. Roger seul était bien éveillé, et en proie au plus violent désespoir. Ce fut en frémissant qu'il jeta les dés. Il les jeta si rudement sur le damier. que de la secousse une bougie tomba sur le plancher. Le Hollandais tourna la tête d'abord vers la bougie, qui venait de couvrir de cire son pantalon neuf, puis il regarda les dés. - Ils marquaient six et quatre. Roger, pâle comme la mort, reçut les vingt-cinq napoléons. Ils continuèrent à jouer. La chance devint favorable à mon malheureux ami, qui pourtant faisait écoles sur écoles, et qui casait comme s'il avait voulu perdre. Le lieutenant hollandais s'entêta, doubla, décupla les enjeux: il perdit toujours. Je crois le voir encore: c'était un grand blond, flegmatique, dont la figure semblait être de cire. Il se leva enfin, ayant perdu quarante mille francs, qu'il paya sans que sa physionomie décelât la moindre émotion. ♫
«Ce que nous avons fait ce soir ne signifie rien, vous dormiez à moitié; je ne veux pas de votre argent. ♫
- Vous plaisantez, répondit le flegmatique Hollandais; j'ai très bien joué, mais les dés ont été contre moi. Je suis sûr de pouvoir toujours vous gagner en vous rendant quatre trous, Bonsoir!» ♫
Le lendemain, nous apprîmes que, désespéré de sa perte, il s'était brûlé la cervelle dans sa chambre après avoir bu un bol de punch. ♫
Les quarante mille francs gagnés par Roger étaient étalés sur une table, et Gabrielle les contemplait avec un sourire de satisfation. ♫
«Nous voilà bien riches, dit-elle; que ferons-nous de tout cet argent!» ♫
Roger ne répondit rien; il paraissait comme hébété depuis la mort du Hollandais. ♫
«Il faut faire mille folies, continua la Gabrielle: argent gagné aussi facilement doit se dépenser de même. Achetons une calèche et narguons le préfet maritime et sa femme. Je veux avoir des diamants, des cachemires. Demande un congé et allons à Paris; ici, nous ne viendrons jamais à bout de tant d'argent!» ♫
Elle s'arrêta pour observer Roger, qui les yeux fixés sur le plancher, la tête appuyée sur sa main, ne l'avait pas entendue, et semblait rouler dans sa tête les plus sinistres pensées. ♫
«Que diable as-tu, Roger? s'écria-t-elle en appuyant une main sur son épaule. Tu me fais la moue, je crois; je ne puis t'arracher une parole. ♫
- Je suis bien malheureux, dit-il enfin avec un soupir étouffé. ♫
- Malheureux! Dieu me pardonne, n'aurais-tu pas des remords pour avoir plumé ce gros "mynheer"?» ♫
Il releva la tête et la regarda d'un oeil hagard. ♫
«Qu'importe!... poursuivit-elle, qu'importe qu'il ait pris la chose au tragique et qu'il se soit brûlé ce qu'il avait de cervelle! Je ne plains pas les joueurs qui perdent; et certes son argent est mieux entre nos mains que dans les siennes; il l'aurait dépensé à boire et à fumer, au lieu que, nous, nous allons faire mille extravagances toutes plus élégantes les unes que les autres.» ♫
Roger se promenait par la chambre, la tête penchée sur sa poitrine, les yeux à demi fermés et remplis de larmes. Il vous aurait fait pitié si vous l'aviez vu. ♫
«Sais-tu, lui dit Gabrielle, que des gens qui ne connaîtraient pas ta sensibilité romanesque pourraient bien croire que tu as triché? ♫
- Et si cela était vrai? s'écria-t-il d'une voix sourde en s'arrêtant devant elle. ♫
- Bah! répondit-elle en souriant, tu n'as pas assez d'esprit pour tricher au jeu. ♫
- Oui, j'ai triché, Gabrielle; j'ai triché comme un misérable que je suis.» ♫
Elle comprit à son émotion qu'il ne disait que trop vrai: elle s'assit sur un canapé et demeura quelque temps sans parler. ♫
«J'aimerais mieux, dit-elle enfin d'une voix très émue, j'aimerais mieux que tu eusses tué dix hommes que d'avoir triché au jeu.» ♫
Il y eut un mortel silence d'une demi-heure. Ils étaient assis tous les deux sur le même sofa, et ne se regardèrent pas une seule fois. Roger se leva le premier, et lui dit bonsoir d'une voix assez calme. ♫
«Bonsoir! lui répondit-elle d'un ton sec et froid. ♫
Roger m'a dit depuis qu'il se serait tué ce jour-là même s'il n'avait craint que nos camarades ne devinassent la cause de son suicide. Il ne voulait pas que sa mémoire fût infâme. ♫
Le lendemain, Gabrielle fut aussi gaie qu'à l'ordinaire: on eût dit qu'elle avait oublié la confidence de la veille. Pour Roger, il était devenu sombre, fantasque, bourru; il sortait à peine de sa chambre, évitant ses amis, et passait souvent des journées entières sans adresser une parole à sa maîtresse. J'attribuais sa tristesse à une sensibilité honorable, mais excessive, et j'essayai plusieurs fois de le consoler; mais il me renvoyait bien loin en affectant une grande indifférence pour son partner malheureux. Un jour même, il fit une sortie violente contre la nation hollandaise, et voulut me soutenir qu'il ne pouvait pas y avoir en Hollande un seul honnête homme. Cependant il s'informait en secret de la famille du lieutenant hollandais; mais personne ne pouvait lui en donner des nouvelles. ♫
Six semaines après cette malheureuse partie de trictrac, Roger trouva chez Gabrielle un billet écrit par un aspirant qui paraissait la remercier de bontés qu'elle avait eues pour lui, Gabrielle était le désordre en personne, et le billet en question avait été laissé par elle sur la cheminée. Je ne sais si elle avait été infidèle, mais Roger le crut, et sa colère fut épouvantable. Son amour et un reste d'orgueil étaient les seuls sentiments qui pussent encore l'attacher à la vie, et le plus fort de ses sentiments allait être ainsi soudainement détruit. Il accabla d'injures l'orgueilleuse comédienne; et, violent comme il était, je ne sais comment il se fit qu'il ne la battît pas. ♫
«Sans doute, lui dit-il, ce freluquet vous a donné beaucoup d'argent? C'est la seule chose que vous aimiez, et vous accorderiez vos faveurs au plus sale de nos matelots s'il avait de quoi les payer. ♫
- Pourquoi pas? répondit froidement l'actrice. Oui, je me ferais payer par un matelot, mais... "je ne le volerais pas".» ♫
Roger poussa un cri de rage. Il tira en tremblant son poignard, et un instant regarda Gabrielle avec des yeux égarés; puis, rassemblant toutes ses forces, il jeta l'arme à ses pieds et s'échappa de l'appartement pour ne pas céder à la tentation qui l'obsédait. ♫
Ce soir-là même, je passai fort tard devant son logement, et, voyant de la lumière chez lui, j'entrai pour lui emprunter un livre. Je le trouva fort occupé à écrire. Il ne se dérangea point, et paru à peine s'apercevoir de ma présence dans sa chambre. Je m'assis près de son bureau, et je contemplai ses traits; ils étaient tellement altérés, qu'un autre que moi aurait eu de la peine à le reconnaître. Tout d'un coup j'aperçus sur le bureau une lettre déjà cachetée, et qui m'était adressée. Je l'ouvris aussitôt. Roger m'annonçait qu'il allait mettre fin à ses jours, et me chargeait de différentes commissions. Pendant que je lisais, il écrivait toujours sans prendre garde à moi: c'était à Gabrielle qu'il faisait ses adieux... Vous pensez quel fut mon étonnement, et ce que je dus lui dire, confondu comme je l'étais de sa résolution. ♫
«Comment, tu veux te tuer, toi qui es si heureux? ♫
- Mon ami, me dit-il en cachetant sa lettre, tu ne sais rien; tu ne me connais pas, je suis un fripon; je suis si méprisable, qu'une fille de joie m'insulte; et je sens si bien ma bassesse, que je n'ai pas la force de la battre.» ♫
Alors il me raconta l'histoire de la partie de trictrac, et tout ce que vous savez déjà. En l'écoutant, j'étais pour le moins aussi ému que lui; je ne savais que lui dire; je lui serrais les mains, j'avais les larmes aux yeux, mais je ne pouvais parler. Enfin l'idée me vint de lui représenter qu'il n'avait pas à se reprocher d'avoir causé volontairement la ruine du Hollandais, et que, après tout, il ne lui avait fait perdre par sa... tricherie... que vingt-cinq napoléons. ♫
«Donc! s'écria-t-il avec un ironie amère, je suis un petit voleur et non un grand. Moi qui avais tant d'ambition! N'être qu'un friponneau!...» ♫
Tout à coup la porte s'ouvrit; une femme entra et se précipita dans ses bras; c'était Gabrielle. ♫
«Pardonne-moi, s'écria-t-elle en l'étreignant avec force, pardonne-moi. Je le sens bien, je n'aime que toi. Je t'aime mieux maintenant que si tu n'avais pas fait ce que tu te reproches. Si tu veux, je volerai, j'ai déjà volé... Oui. j'ai volé une montre d'or... Que peut-on faire de pis? ♫
Roger secoua la tête d'un air d'incrédulité; mais son front parut s'éclaircir. ♫
«Non. ma pauvre enfant, dit-il en la repoussant avec douceur, il faut absolument que je me tue. Je souffre trop, je ne puis résister à la douleur que je sens là. ♫
- Eh, bien, si tu veux mourir, Roger, je mourrai avec toi! Sans toi, que m'importe la vie! J'ai du courage, j'ai tiré des fusils; je me tuerai tout comme un autre. D'abord, moi qui ai joué la tragédie, j'en ai l'habitude.» ♫
Elle avait les larmes aux yeux en commençant, cette dernière idée la fit rire, et Roger lui-même laissa échapper un sourire. ♫
«Tu ris, mon officier, s'écria-t-elle en battant des mains et en l'embrassant; tu ne te tueras pas!» ♫
Et elle l'embrassait toujours, tantôt pleurant, tantôt riant, tantôt jurant comme un matelot; car elle n'était pas de ces femmes qu'un gros mot effraie. ♫
Cependant je m'étais emparé des pistolets et du poignard de Roger, et je lui dis: ♫
«Mon cher Roger, tu as une maîtresse et un ami qui t'aiment. Crois-moi, tu peux encore avoir quelque bonheur en ce monde.» Je sortis après l'avoir embrassé, et je le laissai seul avec Gabrielle. ♫
Je crois que nous ne serions parvenus qu'à retarder seulement son funeste dessein, s'il n'avait reçu du ministre l'ordre de partir, comme premier lieutenant, à bord d'une frégate qui devait aller croiser dans les mers de l'Inde, après avoir passé au travers de l'escadre anglais qui bloquait le port. L'affaire était hasardeuse. Je lui fis entendre qu'il valait mieux mourir noblement d'un boulet anglais que de mettre fin lui-même à ses jours, sans gloire et sans utilité pour sons pays. Il promit de vivre. Des quarante mille francs, il en distribua la moitié à des matelots estropiés ou à des veuves et des enfants de marins. Il donna le reste à Gabrielle, qui d'abord jura de n'employer cet argent qu'en bonnes oeuvres. Elle avait bien l'intention de tenir parole, la pauvre fille; mais l'enthousiasme était chez elle de courte durée. J'ai su depuis qu'elle donna quelques milliers de francs aux pauvres. Elle s'acheta chiffons avec le reste. ♫
Nous montâmes, Roger et moi, sur une belle frégate, "la Galatée": nos hommes étaient braves, bien exercés, bien disciplinés; mais notre commandant était un ignorant, qui se croyait un Jean Bart parce qu'il jurait mieux qu'un capitaine d'armes, parce qu'il écorchait le français et qu'il n'avait jamais étudié la théorie de sa profession, dont il entendait assez médiocrement la pratique. Pourtant le sort le favorisa d'abord. Nous sortîmes heuresement de la rade, grâce à un coup de vent qui força l'escadre de blocus de gagner le large, et nous commençâmes notre croisière par brûler une corvette anglaise et un vaisseau de la compagnie sur les côtes de Portugal. ♫
Nous voguions lentement vers les mers de l'Inde, contrariés par les vents et par les fausses manoeuvres de notre capitaine, dont la maladresse augmentait le danger de notre croisière. Tantôt chassés par des forces supérieures, tantôt poursuivant des vaisseaux marchands, nous ne passions pas un seul jour sans quelque aventure nouvelle. Mais ni la vie hasardeuse que nous menions, ni les fatigues que lui donnait le détail de la frégate dont il était chargé, ne pouvaient distraire Roger des tristes pensées qui le poursuivaient sans relâche. Lui qui passait autrefois pour l'officier le plus actif et le plus brillant de notre port, maintenant il se bornait à faire seulement son devoir. Aussitôt que son service était fini, il se renfermait dans sa chambre, sans livres, sans papier; il passait des heures entières couché dans son cadre, et le malheureux ne pouvait dormir. ♫
Un jour, voyant son abattement, je m'avisai de lui dire: ♫
«Parbleu! mon cher, tu t'affliges pour peu de chose. Tu as escamoté vingt-cinq napoléons à un gros Hollandais, bien! - et tu as des remords pour plus d'un million. Or, dis-moi, quand tu étais l'amant de la femme du préfet de..., n'en avais-tu point? Pourtant elle valait mieux que vingt-cinq napoléons.» ♫
Il se retourna sur son matelas sans me répondre. ♫
«Après tout, ton crime, puisque tu dis que c'est un crime, avait un motif honorable, et venait d'une âme élevée.» ♫
Il tourna la tête et me regarda d'un air furieux. ♫
«Oui, car enfin, si tu avais perdu, que devenait Gabrielle? Pauvre fille, elle aurait vendu sa dernière chemise pour toi... Si tu perdais, elle était réduite à la misère... C'est pour elle, c'est par amour pour elle que tu as triché. Il y a des gens qui tuent par amour... qui se tuent... Toi, mon cher Roger, tu as fait plus. Pour un homme comme nous, il y a plus de courage à... voler, pour parler net, qu'à se tuer.» ♫
Peut-être maintenant, me dit le capitaine interrompant son récit, vous semblé-je ridicule. Je vous assure que mon amitié pour Roger me donnait, dans ce moment, une éloquence que je ne retrouve plus aujourd'hui; et, le diable m'emporte, en je croyais tout ce que je disais. Ah! j'étais jeune alors! ♫
Roger fut quelque temps sans répondre; il me tendit la main. ♫
«Mon ami, dit-il en paraissant faire un grand effort sur lui-même, tu me crois meilleur que je ne suis. Je suis un lâche coquin. Quand j'ai triché ce Hollandais, je ne pensais qu'à gagner vingt-cinq napoléons, voilà tout. Je ne pensais pas à Gabrielle, et voilà pourquoi je me méprise... Moi, estimer mon honneur moins que vingt-cinq napoléons!... Quelle bassesse! Oui, je serais heureux de pouvoir me dire: «J'ai volé pour tirer «Gabrielle de la misère...» Non!... non! je ne pensais pas à elle... Je n'étais pas amoureux dans ce moment... J'étais un joueur... j'étais un voleur... J'ai volé de l'argent pour l'avoir à moi... et cette action m'a tellement abruti, avili, que je n'ai plus aujourd'hui de courage ni d'amour... je vis, et je ne pense plus à Gabrielle... je suis un homme fini.» ♫
Il paraissait si malheureux que, s'il m'avait demandé mes pistolets pour se tuer, je crois que je les lui aurais donnés. ♫
Un certain vendredi, jour de mauvais augure, nous découvrîmes une grosse frégate anglaise, "l'Alceste", qui prit chasse sur nous. Elle portait cinquante-huit canons, nous n'en avions que trente-huit. Nous fîmes force de voiles pour lui échapper; mais sa marche était supérieure; elle gagnait sur nous à chaque instant, il êtait évident qu'avant la nuit, nous serions contraints de livrer un combat inégal. Notre capitaine appela Roger dans sa chambra, où ils furent un grand quart d'heure à consulter ensemble. Roger remonta sur le tillac, me prit par le bras, et me tira à l'écart. ♫
«D'ici à deux heures, me dit-il, l'affaire va s'engager; ce brave homme là-bas qui se démène sur le gaillard d'arrière a perdu la tête. Il y avait deux partis à prendre: le premier, le plus honorable, était de laisser l'ennemi arriver sur nous, puis de l'aborder vigoureusement en jetant à son bord une centaine de gaillards déterminés; l'autre parti, qui n'est pas mauvais, mais qui est assez lâche, serait de nous alléger en jetant à la mer une partie de nos canons. Alors nous pourrions serrer de très près la côte d'Afrique que nous découvrons là-bas à bâbord. L'Anglais, de peur de s'échouer, serait bien obligé de nous laisser échapper; mais notre... capitaine n'est ni un lâche ni un héros: il va se laisser démolir de loin à coup de canon, et, après quelques heures de combat, il amènera honorablement son pavillon. Tant pis pour vous: les pontons de Portsmouth vous attendent. Quant à moi, je ne veux pas les voir. ♫
- Peut-être, lui dis-je, nos premiers coups de canon feront-ils à l'ennemi des avaries assez fortes pour l'obliger à cesser la chasse. ♫
- Ecoute, je ne veux pas être prisonnier, je veux me faire tuer; il est temps que j'en finisse. Si par malheur je ne suis que blessé, donne-moi ta parole que tu me jetteras à la mer. C'est le lit où doit mourir un bon marin comme moi. ♫
- Quelle folie! m'écria-je, et quelle commission me donnes-tu là! ♫
- Tu rempliras le devoir d'un bon ami. Tu sais qu'il faut que je meure. Je n'ai consenti à ne pas me tuer que dans l'espoir d'être tué, tu dois t'en souvenir. Allons, fais-moi cette promesse; si tu me refuses, je fais demander ce service à ce contremaître, qui ne me refusera pas.» ♫
Après avoir réfléchi quelque temps, je lui dis: ♫
«Je te donne ma parole de faire ce que tu désires, pourvu que tu sois blessé à mort, sans espérance de guérison. Dans ce cas, je consens à t'épargner des souffrances. ♫
- Je serai blessé à mort ou bien je serai tués.» ♫
Il me tendit la main, je la serrai fortement. Dès lors, il fut plus calme, et même une certaine gaieté martiale brilla sur son visage. ♫
Vers trois heures de l'après-midi les canons de chasse de l'ennemi commencèrent à porter dans nos agrès. Nous carguâmes alors une partie de nos voiles: nous présentâmes le travers à "l'Alceste", et nous fîmes un feu roulant auquel les Anglais répondirent avec vigueur. Après environ une heure de combat, notre capitaine, qui ne faisait rien à propos, voulut essayer l'abordage. Mais nous avions déjà beaucoup de morts et de blessés, et le reste de notre équipage avait perdu de son ardeur; enfin nous avions beaucoup souffert dans nos agrès, et nos mâts êtaient fort endommagés. Au moment où nous déployâmes nos voiles pour nous rapprocher de l'Anglais, notre grand mât, qui ne tenait plus à rien, tomba avec un fracas horrible. "L'Alceste" profita de la confusion où nous jeta d'abord cet accident. Elle vint passer à notre poupe en nous lâchant à demi-portée de pistolet toute sa bordée; elle traversa de l'avant à l'arrière notre malheureuse frégate, qui ne pouvait lui opposer sur ce point que deux petits canons. Dans ce moment, j'étais auprès de Roger, qui s'occupait à faire couper les haubans qui retenaient encore le mât abattu. Je le sens qui me serrait le bras avec force; je me retourne, et je le vois renversé sur le tillac et tout couvert de sang. Il venait de recevoir un coup de mitraille dans le ventre. ♫
«Que faire, lieutenant? s'écria-t-il. ♫
- Il faut clouer notre pavillon à ce tronçon de mât et nous faire couler.» ♫
Le capitaine le quitta aussitôt, goûtant fort peu ce conseil. ♫
«Allons, me dit Roger, souviens-toi de la promesse. ♫
- Ce n'est rien, lui dis-je, tu peux en revenir. ♫
- Jette-moi par-dessus le bord, s'écria-t-il en jurant horriblement et me saisissant par la basque de mon habit; tu vois bien que je n'en puis réchapper: jette-moi à la mer, je ne veux pas voir amener notre pavillon.» ♫
Deux matelots s'approchèrent de lui pour le porter à fond de cale. ♫
«A vos canons, coquins, s'écria-t-il avec force: tirez à mitraille et pointez au tillac. Et toi, si tu manques à ta parole, je te maudis, et je te tiens pour le plus lâche et le plus vil de tous les hommes!» ♫
Sa blessure était certainement mortelle. Je vis le capitaine appeler son aspirant et lui donner l'ordre d'amener notre pavillon. ♫
«Donne-moi une poignée de main», dis-je à Roger. ♫
Au moment même où notre pavillon fut amené... ♫
«Capitaine, une baleine à bâbord! interrompit un enseigne accourant à nous. ♫
- Une baleine? s'écria le capitaine transporté de joie et laissant là son récit. Vite, la chaloupe à la mer! la yole à la mer, toutes les chaloupes à la mer! - Des harpons, des cordes! etc.» ♫
Je ne pas savoir comment mourut le pauvre lieutenant Roger. ♫
━━━ ◇ ━━━
C'était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur de destin, dans une famille d'employés. Elle n'avait pas de dot, pas d'espérances, aucun moyen d'être connue, compris, aimée, épousée par un homme riche et distingué; et elle se laissa marier avec un petit commis du ministère de l'Instruction publique. ♫
Elle fut simple, ne pouvant être parée, mais malheureuse comme une déclassée; car les femmes n'ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille. Leur finesse native, leur instinct d'élégance, leur souplesse d'esprit sont leur seule hiérarachie, et font des filles du peuple les égales des plus grandes dames. ♫
Elle souffrait sans cesse, se sentant née pour toutes les délicatesses et tous les luxes. Elle souffrait de la pauvreté de son logement, de la misère des murs, de l'usure des sièges, de la laideur de étoffes. Toutes ces choses, dont une autre femme de sa caste ne se serait même pas aperçue, la torturaient et l'indignaient. La vue de la petite Bretonne qui faisait son humble ménage éveillait en elle des regrets désolés et des rêves éperdus. Elle songeait aux antichambres muettes, capitonnées avec des tentures orientales, éclairées par de hautes torchères de bronze, et aux deux grands valets en culotte courte qui dorment dans les larges fauteuils, assoupis par la chaleur lourde du calorifère. Elle songeait aux grands salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins portant des bibelots inestimables, et aux petits salons coquets, parfumés, faits pour la causerie de cinq heures avec les amis les plus intimes, les hommes connus et recherchés dont toutes les femmes envient et désirent l'attention. ♫
Quand elle s'asseyait pour dîner, devant la table ronde couverte d'une nappe de trois jours, en face de son mari qui découvrait la soupière en déclarant d'un air enchanté: «Ah! le bon pot-au-feu! je ne sais rien de meilleur que cela...», elle songeait aux dîners fins, aux argenteries reluisantes, aux tapisseries peuplant les murailles de personnages anciens et d'oiseaux étranges au milieu d'une forêt de féerie; elle songeait aux plats exquis servis en des vaisselles merveilleuses, aux galanteries chuchotées et écoutées avec un sourire de sphinx, tout en mangeant la chair rose d'une truite ou des ailes de gelinotte. ♫
Elle n'avait pas de toilettes, pas de bijoux, rien. Et elle n'aimait que cela; elle se sentait faite pour cela. Elle eût tant désiré plaire, être enviée, être séduisante et recherchée. ♫
Elle avait une amie riche, une camarade de couvent qu'elle ne voulait plus aller voir, tant elle souffrait en revenant. Et elle pleurait pendant des jours entiers, de chagrin, de regret, de désespoir et de détresse. ♫
Or, un soir, son mari rentra, l'air glorieux et tenant à la main une large enveloppe. ♫
- Tiens, dit-il, voici quelque chose pour toi. ♫
Elle déchira vivement le papier et en tira une carte imprimée qui portait ces mots: ♫
«Le ministre de l'Instruction publique et Mme. Georges Ramponneau prient M. et Mme. Loisel de leur faire l'honneur de venir passer la soirée à l'hôtel du ministère, le lundi janvier.» ♫
Au lieu d'être ravie, comme l'espérait son mari, elle jeta avec dépit l'invitation sur la table, murmurant: ♫
- Que veux-tu que je fasse de cela? ♫
- Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne sors jamais, et c'est une occasion, cela, une belle! J'ai eu une peine infinie à l'obtenir. Tout le monde en veut; c'est très recherché et on n'en donne pas beaucoup aux employés. Tu verras là tout le monde officiel. ♫
Elle le regardait d'un oeil irrité, et elle déclara avec impatience: ♫
- Que veux-tu que je me mette sur le dos pour aller là? Il n'y avait pas songé; il balbutia: ♫
- Mais la robe avec laquelle tu vas au théâtre. Elle me semble très bien, à moi... ♫
Il se tut, stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme pleurait. Deux grosses larmes descendaient lentement des coins des yeux vers les coins de la bouche; il bégaya: ♫
Mais, par un effort violent, elle avait dompté sa peine et elle répondit d'une voix calme en essuyant ses joues humides: ♫
- Rien. Seulement je n'ai pas de toilette et par conséquent je ne peux aller à cette fête. Donne ta carte à quelque collègue dont la femme sera mieux nippée que moi. ♫
- Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait-il, une toilette convenable, qui pourrait te servir encore en d'autres occasions, quelque chose de très simple? ♫
Elle réfléchit quelque secondes, établissant ses comptes et songeant aussi à la somme qu'elle pouvait demander sans s'attirer un refus immédiat et une exclamation effarée du commis économe. ♫
Enfin, elle répondit en hésitant: ♫
- Je ne sais pas au juste, mais il me semble qu'avec quatre cents francs je pourrais arriver. ♫
Il avait un peu pâli, car il réservait juste cette somme pour acheter un fusil et s'offrir des parties de chasses, l'été suivant, dans la plaine de Nanterre, avec quelque amis qui allaient tirer des alouettes, par là, le dimanche. ♫
- Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche d'avoir une belle robe. ♫
Le jour de la fête approchait, et Mme. Loisel semblait triste, inquiète, anxieuse. Sa toilette était prête cependant. Son mari lui dit un soir: ♫
- Qu'as-tu? Voyons, tu es toute drôle depuis trois jours. ♫
- Cela m'ennuie de n'avoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur moi. J'aurai l'air misère comme tout. J'aimerais presque mieux ne pas aller à cette soirée. ♫
- Tu mettras des des fleurs naturelles. C'est très chic en cette saison-ci. Pour dix francs tu auras deux ou trois roses magnifiques. ♫
Elle n'était point convaincue. ♫
- Non...il n'y a rien de plus humiliant que d'avoir l'air pauvre au milieu de femmes riches. ♫
- Que tu es bête! Va trouver ton amie Mme. Forestier et demande-lui de te prêter des bijoux. Tu es bien assez liée avec elle pour faire cela. ♫
Elle poussa un crie de joie. ♫
- C'est vrai. Je n'y avais point pensé. ♫
Le lendemain, elle se rendit chez son amie et lui conta sa détresse. ♫
Mme. Forestier alla vers son armoire à glace, prit un large coffret, l'apporta, l'ouvrit, et dit à Mme. Loisel: ♫
Elle vit d'abord des bracelets, puis un collier de perles, puis une croix vénitienne, or et pierreries, d'un admirable travail. Elle essayait les parures devant la glace, hésitait, ne pouvait se décider à les quitter, à les rendre. Elle demandait toujours: ♫
- Mais si. Cherche. Je ne sais pas ce qui peut te plaire. ♫
Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe rivière de diamants; et son coeur se mit à battre d'un désir immodéré. Ses mains tremblaient en la prenant. Elle l'attacha autour de sa gorge, sur sa robe montante, et demeura en extase devant elle-même. ♫
Puis, elle demanda, hésitante, pleine d'angoisse: ♫
- Peux-tu me prêter cela, rien que cela? ♫
Elle sauta au cou de son amie, l'embrassa avec emportement, puis s'enfuit avec son trésor. ♫
Le jour de la fête arriva. Mme. Loisel eut un succès. Elle était plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et folle de joie. Tous les hommes la regardaient, demandaient son nom, cherchaient à être présentés. Tous les attachés du cabinet voulaient valser avec elle. Le ministre la remarqua. ♫
Elle dansait avec ivresse, avec emportement, grisée par le plaisir, ne pensant plus à rien, dans le triomphe de sa beauté, dans la gloire de son succès, dans une sorte de nuage de bonheur fait de tous ces hommages, de toutes ces admirations, de tous ces désirs éveillés, de cette victoire si complète et si douce au coeur des femmes. ♫
Elle partit vers quatre heures du matin. Son mari, depuis minuit, dormait dans un petit salon désert avec trois autres messieurs dont les femmes s'amusaient beaucoup. ♫
Il lui jeta sur les épaules les vêtements qu'il avait apportés pour la sortie, modestes vêtements de la vie ordinaire, dont la pauvreté jurait avec l'élégance de la toilette de bal. Elle le sentit et voulut s'enfuir, pour ne pas être remarquée par les autres femmes qui s'enveloppaient de riches fourrures. ♫
Attends donc. Tu vas attraper froid dehors. Je vais appeler un fiacre. ♫
Mais elle ne l'écoutait point et descendait rapidement l'escalier. Lorsqu'ils furent dans la rue, iles ne trouvèrent pas de voiture; et ils se mirent à chercher, criant après les cochers qu'il voyaient passer de loin. ♫
Ils descendaient vers la Seine, désespérés, grelottants. Enfin ils trouvèrent sur le quai un de ces vieux coupés noctambules qu'on ne voit dans Paris que la nuit venue, comme s'ils eussent été honteux de leur misère pendant le jour. ♫
Il les ramena jusqu'à leur porte, rue des Martyrs, et ils remontèrent tristement chez eux. C'était fini, pour elle. Et il songeait, lui, qu'il lui faudrait être au Ministère à dix heures. ♫
Elle ôta les vêtements dont elle s'était enveloppé les épaules, devant la glace, afin de se voir encore une fois dans sa gloire. Mais soudain elle poussa un cri. Elle n'avait plus sa rivièra autour du cou. ♫
Son mari, à moitié dévêtu déjà, demanda: ♫
Elle se tourna vers lui, affolée: ♫
- J'ai... j'ai... je n'ai plus la rivière de Mme. Forestier. Il se dressa, éperdu: ♫
- Quoi!... comment!... Ce n'est pas possible! ♫
Et ils cherchèrent dans les plis de la robe, dans les plis du manteau, dans les poches, partout. Ils ne la trouvèrent point. ♫
- Tu es sûre que tu l'avais encore en quittant le bal? ♫
- Oui, je l'ai touchée dans le vestibule du Ministère. ♫
- Mais si tu l'avais perdue dans la rue, nous l'aurions entendue tomber. Elle doit être dans le fiacre. ♫
- Oui. C'est probable. As-tu pris le numéro? ♫
- Non. Et toi, tu ne l'as pas regardé? ♫
Ils se contemplaient atterrés. Enfin Loisel se rhabilla. ♫
- Je vais, dit-il, refaire tout le trajet que nous avons fait à pied, pour voir si je ne la retrouverai pas. ♫
Et il sortit. Elle demeura en toilette de soirée, sans force pour se coucher, abattue sur une chaise, sans feu, sans pensée. ♫
Son mari rentra vers sept heures. Il n'avait rien trouvé. ♫
Il se rendit à la Préfecture de police, aux journaux, pour faire promettre une récompense, aux compagnies de petites voitures, partout enfin où un soupçon d'espoir le poussait. ♫
Elle attendit tout le jour, dans le même état d'effarement devant cet affreux désastre. ♫
Loisel revint le soir, avec la figure creusée, pâlie; il n'avait rien découvert. ♫
- Il faut, dit-il, écrire à ton amie que tu as brisé la fermeture de sa rivière et que tu la fais réparer. Cela nous donnera le temps de nous retourner. ♫
Elle écrivit sous sa dictée. ♫
Au bout d'une semaine, ils avaient perdue toute espéance. ♫
Et Loisel, vieilli de cinq ans, déclara: ♫
- Il faut aviser à remplacer ce bijou. ♫
Ils prirent, le lendemain, la boîte qui l'avait renfermé, et se rendirent chez le joaillier, dont le nom se trouvait dedans. Il consulta ses livres: ♫
- ce n'est pas moi, madame, qui ai vendu cette rivière; j'ai dû seulement fournir l'écrin. ♫
Alors ils allèrent de bijoutier en bijoutier, cherchant une parure pareille à l'autre, consultant leurs souvenirs, malades tous deux de chagrin et d'angoisse. ♫
Ils trouvèrent, dans une boutique de Palais-Royal, un chapelet de diamants qui leur parut entièrement semblable à celui qu'ils cherchaient. Il valait quarante mille francs. On le leur laisserait à trente-six mille. ♫
Ils prièrent donc le joaillier de ne pas le vendre avant trois jours. Et ils firent condition qu'on le reprendrait pour trente-quatre mille francs, si le premier était retrouvé avant la fin de février. ♫
Loisel possédait dix-huit mille francs que lui avait laissés son père. Il emprunterait le reste. ♫
Il emprunta, demandant mille francs à l'un, cinq cents à l'autre, cinq louis par-ci, trois louis par-là. Il fit des billets, prit des engagements ruineux, eut affaire usuriers, à toutes les races de prêteurs. Il compromit toute la fin de son existence, risqua sa signature sans savoir même s'il pourrait y faire honneur, et, épouvanté par les angoisses de l'avenir, par la noire misère qui allait s'abattre sur lui, par la perspective de toutes les privations physiques et de toutes les tortures morales, il alla chercher la rivière nouvelle, en déposant sur le comptoir du marchand trente-six mille francs. ♫
Quand Mme. Loisel reporta la parure à Mme. Forestier, celle-ci lui dit, d'un air froissé: ♫
- Tu aurais dû me la rendre plus tôt, car je pouvais en avoir besoin. ♫
Elle n'ouvrit pas l'écrin, ce que redoutait son amie. Si elle s'était aperçue de la substitution, qu'aurait-elle pensé? qu'aurait-elle dit? Ne l'aurait-elle pas prise pour une voleuse? ♫
Mme. Loisel connut la vie horrible des nécessiteux. Elle prit son parti, d'ailleurs, tout d'un coup, héroïquement. Il fallait payer cette dette effroyable. Elle payerait. On renvoya la bonne; on changea de logement; on loua sous les toits une mansarde. ♫
Elle connut les gros travaux du ménage, les odieuses besognes de la cuisine. Elle lava la vaisselle, usant ses ongles roses sur les poteries grasses et le fond des casseroles. Elle savonna le linge sale, les chemises et les torchons, qu'elle faisait sécher sur une corde; elle descendit à la rue, chaque matin, les ordures, et monta l'eau, s'arrêtant à chaque étage pour souffler. Et, vêtue comme une femme du peuple, elle alla chez le fruitier, chez l'épicier, chez le boucher, le panier au bras, marchandant, injuriée, défendant sou à sou son misérable argent. ♫
Il fallait chaque mois payer des billets, en renouveler d'autres, obtenir du temps. ♫
Le mari travaillant, le soir, à mettre au net les comptes d'un commerçant, et la nuit, souvent, il faisait de la copie à cinq sous la page. ♫
Au bout de dix ans, ils avaient tout restitué, tout, avec le taux de l'usure, et l'accumulation des intérêts superposés. ♫
Mme. Loisel semblait vieille, maintenant. Elle était devenue la femme forte, et dure, et rude, des ménages pauvres. Mal peignée, avec les jupes de travers et les mains rouges, elle parlait haut, lavait à grande eau les planchers. mais parfois, lorsque son mari était au bureau, elle s'asseyait auprès de la fenêtre, et elle songeait à cette soirée d'autrefois, à ce bal où elle avait été si belle et si fêtée. ♫
Que serait-il arrivé si elle n'avait point perdu cette parure? Qui sait? qui sait? Comme la vie est singulière, changeante! Comme il faut peu de chose pour vous perdre ou vous sauver! ♫
Or, un dimanche, comme elle était allée faire un tour aux Champs-Élysées pour se délasser des besognes de la semaine, elle aperçut tout à coup une femme qui promenait un enfant. C'était Mme. Forestier, toujours jeune, toujours belle, toujours séduisante. Mme Loisel se sentit émue. Allait-elle lui parler? Oui, certes. Et maintenant qu'elle avait payé, elle lui dirait tout. Pourquoi pas? ♫
L'autre ne la reconnaissait point, s'étonnant d'être appelée ainsi familièrement par cette bourgeoise. Elle balbutia: ♫
- Mais... madame!... Je ne sais... Vous devez vous tromper. ♫
- Non. Je suis Mathilde Loisel. ♫
- Oh!... ma pauvre Mathilde, comme tu es changée!... ♫
- Oui, j'ai eu des jours bien durs, depuis que je ne t'ai vue; et bien des misères... et cela à cause de toi!... ♫
- Tu te rappelles bien cette rivière de diamants que tu m'as prêtée pour aller à la fête du Ministère. ♫
- Comment! puisque tu me l'as rapportée. ♫
- Je t'en ai rapporté une autre toute pareille. Et voilà dix ans que nous la payons. Tu comprends que ça n'était pas aisé pour nous, qui n'avions rien... Enfin c'est fini, et je suis rudement contente. ♫
Mme. Forestier s'était arrêtée.
- Tu dis que tu as acheté une rivière de diamants pour remplacer la mienne? ♫
- Oui. Tu ne t'en étais pas aperçue, hein? Elles étaient bien pareilles. ♫
Et elle souriait d'une joie orgueilleuse et naïve. ♫
Mme. Forestier, fort émue, lui prit les deux mains. ♫
- Oh! ma pauvre Mathidle! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs!... ♫
━━━ ◇ ━━━
Je souhaite dans ma maison: ♫
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.
━━━ ◇ ━━━
C'est un trou de verdure où chante une rivière ♫
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent, où le soleil, de la montagne fière,
Luit; c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue ♫
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort: il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumuère pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme ♫
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement: il a froid!
Les parfums ne font pas frissonner sa narine; ♫
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
━━━ ◇ ━━━
Quand vous prenez le métro sachez que...
- Les trains sont composés de plusieurs voitures de 2e classe et d'une voiture ou compartiment de 1re classe.
- La voiture ou le compartiment de 1re classe se trouve placé au milieu train.
- Les prix de transport sont affichés à tous les guichets de vente de billets.
- Le prix d'un billet est le même, quels que soient la longueur du parcours effectué et le nombre de lignes empruntées, sauf sur la partie "banlieue" de la ligne de Sceaux.
- Les billets de Métro sont valables sur la section urbaine de la ligne de Sceaux.
- Les billets sont vendus à tous les guichets des stations soit en carnets, soit à l'unité.
- Un carnet est composé de dix billets et chaque billet est valable pour un voyage.
- Un billet de carnet est utilisable n'importe quel jour et dans n'importe quelle station du réseau.
- Les voyageurs sont tenus de présenter individuellement leur billet au contrôle d'entrée.
- Vous réaliserez une économie importante en utilisant le billet de carnet.
━━━ ◇ ━━━
Son chapeau sur la tête, son manteau sur le dos, un voile noir sur le nez, un autre dans sa poche dont elle doublerait le premier quand elle serait montée dans le fiacre coupable, elle battait du bout de son ombrelle la pointe de sa bottine, et demeurait assise dans sa chambre, ne pouvant se décider à sortir pour aller à ce rendez-vous. ♫
Combien de fois, pourtant, depuis deux ans, elle s'était habillée ainsi, pendant les heures de Bourse de son mari, un agent de change très mondain, pour rejoindre dans son logis de garçon le beau vicomte de Martelet, son amant. ♫
La pendule derrière son dos battait les secondes vivement; un livre à moitié lu bâillait sur le petit bureau de bois de rose, entre les fenêtres, et un fort parfum de violette, exhalé par deux petits bouquets baignant en deux mignons vases de Saxe sur la cheminée, se mêlait à une vague odeur de verveine soufflée sournoisement par la porte du cabinet de toilette demeurée entr'ouverte. ♫
L'heure sonna - trois heures - et la mit debout. Elle se retourna pour regarder le cadran, puis sourit, songeant: «Il m'attend déjà. Il va s'énerver». Alors, elle sortit, prévint le valet de chambre qu'elle serait rentrée dans une heure au plus tard - un mensonge - descendit l'escalier et s'aventura dans la rue, à pied. ♫
On était aux derniers jours de mai, à cette saison délicieuse où le printemps de la campagne semble faire le siège de Paris et le conquérir par-dessus les toits, envahir les maisons, à travers les murs, faire fleurir la ville, y répandre une gaieté sur la pierre des façades, l'asphalte des trottoirs et le pavé des chaussées, la baigner, la griser de sève comme un bois qui verdit. ♫
Madame Haggan fit quelques pas à droite avec l'intention de suivre, comme toujours, la rue de Provence où elle hélerait un fiacre, mais la douceur de l'air, cette émotion de l'été qui nous entre dans la gorge en certains jours, la pénétra si brusquement, que, changeant d'idée, elle prit la rue de la Chaussée-d'Antin, sans savoir pourquoi, obscurément attirée par le désir de voir des arbres dans le square de la Trinité. Elle pensait: «Bah! il m'attendra dix minutes de plus.» Cette idée, de nouveau, la réjouissait, et, tout en marchant à petits pas, dans la foule, elle croyait le voir s'impatienter, regarder l'heure, ouvrir la fenêtre, écouter à la porte, s'asseoir quelques instants, se relever, et, n'osant pas fumer, car elle le lui avait défendu les jours de rendez-vous, jeter sur la boîte aux cigarettes des regards désespérés. ♫
Elle allait doucement, distraite par tout ce qu'elle rencontrait, par les figures et les boutiques, ralentissant le pas de plus en plus et si peu désireuse d'arriver qu'elle cherchait, aux devantures, des prétextes pour s'arrêter. ♫
Au bout de la rue, devant l'église, la verdure du petit square l'attira si fortement qu'elle traversa la place, entra dans le jardin, cette cage à enfants, et fit deux fois le tour de l'étroit gazon, au milieu des nounous enrubannées, épanouies, bariolées, fleuries. Puis elle prit une chaise, s'assit, et levant les yeux vers le cadran rond comme une lune dans le clocher, elle regarda marcher l'aiguille. ♫
Juste à ce moment la demie sonna, et son coeur tressaillit d'aise en entendant tinter les cloches du carillon. Une demi-heure de gagnée, plus un quart d'heure pour atteindre la rue Miromesnil, et quelques minutes encore de flânerie, - une heure! une heure volée au rendez-vous! Elle y resterait quarante minutes à peine, et ce serait fini encore une fois. ♫
Dieu! comme ça l'ennuyait d'aller là-bas! Ainsi qu'un patient montant chez le dentiste,elle portait en son coeur le souvenir intolérable de tous les rendez-vous passés, un par semaine en moyenne depuis deux ans, et la pensée qu'un autre allait avoir lieu, tout à l'heure, la crispait d'angoisse de la tête aux pieds. Non pas que ce fût bien douloureux, douloureux comme une visite au dentiste, mais c'était si ennuyeux, si ennuyeux, si compliqué, si long, si pénible que tout, tout, même une opération, lui aurait paru préférable. Elle y allait pourtant, très lentement, à tout petits pas, en s'arrêtant, en s'asseyant, en flânant partout, mais elle y allait. Oh! elle aurait bien voulu manquer encore celui-là, mais elle avait fait poser ce pauvre vicomte, deux fois de suite le mois dernier, et elle n'osait point recommencer sitôt. Pourquoi y retournait-elle? Ah! pourquoi? Parce qu'elle en avait pris l'habitude, et qu'elle n'avait aucune raison à donner à ce malheureux Martelet quand il voudrait connaître ce pourquoi! Pourquoi avait-elle commencé? Pourquoi? Elle ne le savait plus! L'avait-elle aimé? C'était possible! Pas bien fort, mais un peu, voilà si longtemps! Il était bien, recherché, élégant, galant, et représentait strictement, au premier coup d'oeil, l'amant parfait d'une femme du monde. ♫
La cour avait duré trois mois, - temps normal, lutte honorable, résistance suffisante - puis elle avait consenti, avec quelle émotion, quelle crispation, quelle peur horrible et charmante à ce premier rendez-vous, suivi de tant d'autres, dans ce petit entresol de garçon, rue Miromesnil. Son coeur? Qu'éprouvait alors son petit coeur de femme séduite, vaincue, conquise, en passant pour la première fois la porte de cette maison de cauchemar? Vrai, elle ne le savait plus! Elle l'avait oublié! On se souvient d'un fait, d'une date, d'une chose, mais on ne se souvient guère, deux ans plus tard, d'une émotion qui s'est envolée très vite, parce qu'elle était très lègère. Oh! par exemple, elle n'avait pas oublié les autres, ce chapelet de rendez-vous, ce chemin de la croix de l'amour, aux stations si fatigantes, si monotones, si pareilles, que la nausée lui montait aux lèvres en prévision de ce que ce serait tout à l'heure. ♫
Dieu! ces fiacres qu'il fallait appeler pour aller là, ils ne ressemblaient pas aux autres fiacres, dont on se sert pour les courses ordinaires! Certes, les cochers devinaient. Elle le sentait, rien qu'à la façon dont ils la regardaient, et ces yeux des cochers de Paris sont terribles! Quand on songe qu'à tout moment, devant le tribunal, ils reconnaissent, au bout de plusieurs années, des criminels qu'ils ont conduits une seule fois, en pleine nuit, d'une rue quelconque à une gare, et qu'ils ont affaire à presque autant de voyageurs qu'il y a d'heures dans la journée, et que leur mémoire est assez sûre pour qu'ils affirment: «Voilà bien l'homme que j'ai chargé rue des Martyrs, et déposé gare de Lyon, à minuit quarante, le 10 juillet, de l'an dernier!» n'y a-t-il pas de quoi frémir, lorsqu'on risque ce que risque une jeune femme allant à un rendez-vous, en confiant sa réputation au premier venu de ces cochers! Depuis deux ans elle en avait employé, pour ce voyage de la rue Miromesnil, au moins cent à cent vingt, en comptant un par semaine. C'était autant de témoins qui pouvaient déposer contre elle dans un moment critique. ♫
Aussitôt dans le fiacre, elle tirait de sa poche l'autre voile, épais et noir comme un loup, et se l'appliquait sur les yeux. Cela cachait le visage, oui, mais le reste, la robe, le chapeau, l'ombrelle, ne pouvait-on pas les remarquer, les avoir vus déjà? Oh! dans cette rue Miromesnil, quel supplice! Elle croyait reconnaître tous les passants, tous les domestiques, tout le monde. A peine la voiture arrêtée, elle sautait et passait en courant devant le concierge toujours debout sur le seuil de sa loge. En voilà un qui devait tout savoir, tout, - son adresse, - son nom, - la profession de son mari, tout, - car ces concierges sont les plus subtils des policiers! Depuis deux ans elle voulait l'acheter, lui donner, lui jeter, un jour ou l'autre, un billet de cent francs en passant devant lui. Pas une fois elle n'avait osé faire ce petit mouvement de lui lancer aux pieds ce bout de papier roulé! Elle avait peur. - De quoi? - Elle ne savait pas! - D'être rappelée, s'il ne comprenait point? D'un scandale? d'une rassemblement dans l'escalier? d'une arrestation peut-être? Pour arriver à la porte du vicomte, il n'y avait guère qu'un demi-étage à monter, et il lui paraissait haut comme la tour Saint-Jacques! A peine engagée dans le vestibule, elle se sentait prise dans une trappe, et le moindre bruit devant ou derrière elle lui donnait une suffocation. Impossible de reculer, avec ce concierge et la rue qui lui fermaient la retraite; et si quelqu'un descendait juste à ce moment, elle n'osait pas sonner chez Martelet et passait devant la porte comme si elle allait ailleurs! Elle montait, montait, montait! Elle aurait monté quarante étages! Puis, quand tout semblait redevenu tranquille dans la cage de l'escalier, elle redescendait en courant avec l'angoisse dans l'âme de ne pas reconnaître l'entresol! ♫
Il était là, attendant dans un costume galant en velours doublé de soie, très coquet, mais un peu ridicule, et depuis deux ans, il n'avait rien changé à sa manière de l'accueillir, mais rien, pas un geste! ♫
Dès qu'il avait refermé la porte, il lui disait: «Laissez-moi baiser vos mains, ma chère, chère amie!» Puis il la suivait dans la chambre, où volets clos et lumières allumées, hiver comme été, par chic sans doute, il s'agenouillait devant elle en la regardant de bas en haut avec un air d'adoration. Le premier jour ça avait été très gentil, très réussi, ce mouvement-là! Maintenant elle croyait voir M. Delaunay jouant pour la cent vingtième fois le cinquième acte d'une pièce à succès. Il fallait changer ses effets. ♫
Et puis après, oh! mon Dieu! après! c'était le plus dur! Non, il ne changeait pas ses effets, le pauvre garçon! Quel bon garçon, mais banal!... ♫
Dieu que c'était difficile de se déshabiller sans femme de chambre! Pour une fois, passe encore, mais toutes les semaines cela devenait odieux! Non, vrai, un homme ne devrait pas exiger d'une femme une pareille corvée! Mais s'il était difficile de se déshabiller, se rhabiller devenait presque impossible et énervant à crier, exaspérant à gifler le monsieur qui disait, tournant autour d'elle d'un air gauche: «Voulez-vous que je vous aide.» - L'aider! Ah oui! à quoi? De quoi était-il capable? Il suffisait de lui voir une épingle entre les doigts pour le savoir. ♫
C'est à ce moment-là peut-être qu'elle avait commencé à le prendre en grippe. Quand il disait: «Voulez-vous que je vous aide!», elle l'aurait tué. Et puis était-il possible qu'une femme ne finît point par détester un homme qui, depuis deux ans, l'avait forcée plus de cent vingt fois à se rhabiller sans femme de chambre? ♫
Certes il n'y avait pas beaucoup d'hommes aussi maladroits que lui, aussi peu dégourdis, aussi monotones, Ce n'était pas le petit baron de Grimbal qui aurait demandé de cet air niais: «Voulez-vous que je vous aide?» Il aurait aidé, lui si vif, si drôle, si spirituel. Voilà! C'était un diplomate; il avait couru le monde, rôdé partout, déshabillé et rhabillé sans doute des femmes vêtues suivant toutes les modes de la terre, celui-là!... ♫
L'horloge de l'église sonna les trois quarts. Elle se dressa, regarda le cadran, se mit à rire en murmurant: «Oh! doit-il être agité!» puis elle partit d'une marche plus vive, et sortit du square. Elle n'avait point fait dix pas sur la place quand elle se trouva nez à nez avec un monsieur qui la salua profondément. ♫
- Tiens, vous, baron? - dit-elle, surprise. Elle venait justement de penser à lui. ♫
Et il s'informa de sa santé, puis, après quelques vagues propos, il reprit: ♫
- Vous savez que vous êtes la seule - vous permettez que je dise de mes amies, n'est-ce pas? - qui ne soit point encore venue visiter mes collections japonaises. ♫
- Mais, mon cher baron, une femme ne peut aller ainsi chez un garçon? ♫
- Comment! comment! en voilà une erreur quand il s'agit de visiter une collection rare! ♫
- En tout cas, elle ne peut y aller seule. ♫
- Et pourquoi pas? mais j'en ai reçu des multitudes de femmes seules, rien que pour ma galerie! J'en reçois tous les jours. Voulez-vous que je vous les nomme - non, je ne le ferai point. Il faut être discret même pour ce qui n'est pas coupable. En principe, il n'est inconvenant d'entrer chez un homme sérieux, connu, dans une certaine situation, que lorsqu'on y va pour une cause inavouable! ♫
- Au fond, c'est assez juste ce que vous dites-là. ♫
- Alors vous venez voir ma collection. ♫
- Impossible, je suis pressée. ♫
- Allons donc. Voilà une demi-heure que vous êtes assise dans le square. ♫
- Je vous regardais. ♫
- Je suis sûr que non. Avouez que vous n'êtes pas très pressée. ♫
Mme. Haggan se mit à rire, et avoua: ♫
- Non... non... pas.. très... ♫
Un fiacre passait à les toucher. Le petit baron cria: «Cocher!» et la voiture s'arrêta. Puis, ouvrant la portière: ♫
- Mais, baron, non, c'est impossible, je ne peux pas aujourd'hui. ♫
- Madame, ce que vous faites est imprudent, montez! On commence à nous regarder, vous allez former un attroupement; on va croire que je vous enlève et nous arrêter tous les deux, montez, je vous en prie! ♫
Elle monta, effarée, abasourdie. Alors il s'assit auprès d'elle en disant au cocher: «rue de Provence». ♫
Oh! mon Dieu, j'oubliais une dépêche très pressée, voulez-vous me conduire, d'abord, au premier bureau télégraphique? ♫
Le fiacre s'arrêta un peu plus loin, rue de Châteaudun, et elle dit au baron: ♫
- Pouvez-vous me prendre une carte de cinquante centimes? J'ai promis à mon mari d'inviter Martelet à dîner pour demain et j'ai oublié complètement. ♫
Quand le baron fut revenu, sa carte bleue à la main, elle écrivait au crayon: ♫
«Mon cher ami, je suis très souffrante; j'ai une névralgie atroce qui me tient au lit. Impossible sortir. Venez dîner demain soir pour que je me fasse pardonner. ♫
«Jeanne.»
Elle mouilla la colle, ferma soigneusement, mit l'adresse: «Vicomte de Martelet, 240, rue Miromesnil,» puis, rendant la carte au baron: ♫
- Maintenant, voulez-vous avoir la complaisance de jeter ceci dans la boîte aux télégrammes? ♫
━━━ ◇ ━━━
Du temps que je gardais les bêtes sur le Luberon, je restais des semaines entières sans voir âme qui vive, seul dans le pâturage avec mon chien Labri et mes ouailles. De temps en temps, l'ermite du Mont-de-l'Ure passait par là pour chercher des simples ou bien j'apercevais la face noire de quelque charbonnier du Piémont; mais c'étaient des gens naïfs, silencieux à force de solitude, ayant perdu le goût de parler et ne sachant rien de ce qui se disait en bas dans les villages et les villes. Aussi, tous les quinze jours, lorsque j'entendais, sur le chemin qui monte, les sonnailles du mulet de notre ferme m'apportant les provisions de quinzaine, et que je voyais apparaître peu à peu, au-dessus de la côte, la tête éveillée du petit "miarro" (garçon de ferme), ou la coiffe rousse de la vieille tante Norade, j'étais vraiment bien heureux. Je me faisais raconter les nouvelles du pays d'en bas, les baptêmes, les mariages; mais ce qui m'intéressait surtout, c'était de savior ce que devenait la fille de mes maîtres, notre demoiselle Stéphanette, la plus jolie qu'il y eût à dix lieues à la ronde. Sans avoir l'air d'y prendre trop d'intérêt, je m'informais si elle allait beaucoup aux fêtes, aux veillées, s'il lui venait toujours de nouveaux galants; et à ceux qui me demanderont ce que ces choses-là pouvaient me faire, à moi pauvre berger de la montagne, je réprondrai que j'avais vingt ans et que cette Stéphanette était ce que j'avais vu de plus beau dans ma vie. ♫
Or, un dimanche que j'attendais les vivres de quinzaine, il se trouva qu'ils n'arrivèrent que très tard. Le matin je me disais: «C'est la faute de la grand'messe»; puis, vers midi, il vint un gros orage, et je pensai que la mule n'avait pas pu se mettre en route à cause du mauvais état des chemins. Enfin, sur les trois heures, le ciel étant lavé, la montagne luisante d'eau et de soleil, j'entendis parmi l'égouttement des feuilles et le débordement des ruisseaux gonflés les sonnailles de la mule, aussi gaies, aussi alertes qu'un grand carillon de cloches un jour de Pâques. Mais ce n'était pas le petit "miarro", ni la vieille Norade qui la conduisait. C'était... devinez qui!... notre demoiselle, mes enfants! notre demoiselle en personne, assise droite entre les sacs d'osier, toute rose de l'air montagnes et du rafraîchissement de l'orage. ♫
Le petit était malade, tante Norade en vacances chez ses enfants. La belle Stéphanette m'apprit tout ça, en descendant de sa mule, et aussi qu'elle arrivait tard parce qu'elle s'était perdue en route; mais à la voir si bien endimanchée, avec son ruban à fleurs, sa jupe brillante et ses dentelles, elle avait plutôt l'air de s'être attardée à quelque danse que d'avoir cherché son chemin dans les buissons. O la mignonne créature! Mes yeux ne pouvaient se lasser de la regarder. Il est vrai que je ne l'avais jamais vue de se près. Quelquefois l'hiver, quand les troupeaux étaient descendus dans la plaine et que je rentrais le soir à la ferme pour souper, elle traversait la salle vivement, sans guère parler aux serviteurs, toujours parée et un peu fière... Et maintenant je l'avais là devant moi, rien que pour moi; n'était-ce pas à en perdre la tête? ♫
Quand elle eut tiré les provisions du panier, Stéphanette se mit à regarder curieusement autour d'elle. Relevant un peu sa belle jupe du dimanche qui aurait pu s'abîmer, elle entra dans le "parc", voulut voir le coin où je couchais, la crèche de paille avec la peau de mouton, ma grande cape accrochée au mur, ma crosse, mon fusil à pierre. Tout cela l'amusait. ♫
- Alors, c'est ici que tu vis, mon pauvre berger? Comme tu dois t'ennuyer d'être toujours seul! Qu'est-ce que tu fais? A quoi penses-tu?... ♫
J'avais envie de répondre: «A vous, maîtresse», et je n'aurais pas menti; mais mon trouble était si grand que je ne pouvais pas seulement trouver une parole. Je crois bien qu'elle s'en apercevait, et que la méchante prenait plaisir à redoubler mon embarras avec ses malices: ♫
- Et ta bonne amie, berger, est-ce qu'elle monte te voir quelquefois?... ça doit être bien sûr la chèvre d'or, ou cette fée Estérelle qui ne court qu'à la pointe des montagnes... ♫
Et elle-même, en me parlant, avait bien l'air de la fée Estérelle, avec le joli rire de sa tête renversée et sa hâte de s'en aller qui faisait de sa visite une apparition. ♫
Et la voilà partie, emportant ses corbeilles vides. ♫
Lorsqu'elle disparut dans le sentier en pente, il me semblait que les cailloux, roulant sous les sabots de la mule, me tombaient un à un sur le coeur. Je les entendis longtemps, longtemps; et jusqu'à la fin du jour je restai comme ensommeillé, n'osant bouger, de peur de faire en aller mon rêve. Vers le soir, comme le fond des vallées commençait à devenir bleu et que les bêtes se serraient en bêlant l'une contre l'autre pour rentrer au "parc", j'entendis qu'on m'appelait dans la descente, et je vis paraître notre demoiselle, non plus rieuse ainsi que tout à l'heure, mais tremblante de froid, de peur, de mouillure. Il paraît qu'au bas de la côte elle avait trouvé la Sorgue grossie par la pluie d'orage, et qu'en voulant passer à toute force elle avait risqué de se noyer. Le terrible, c'est qu'à cette heure de nuit il ne fallait plus songer à retourner à la ferme; car le chemin par la traverse, notre demoiselle n'aurait jamais su s'y retrouver toute seule, et moi je ne pouvais pas quitter le troupeau. Cette idée de passer la nuit sur la montagne la tourmentait beaucoup, surtout à cause de l'inquiétude des siens. Moi, je la rassurais de mon mieux: ♫
- En juillet, les nuits sont courtes, maîtresse... Ce n'est qu'un mauvais moment. ♫
Et j'allumai vite un grand feu pour sécher ses pieds et sa robe toute trempée de l'eau de la Sorgue. Ensuite j'apportai devant elle du lait, des fromageons; mais la pauvre petite ne songeait ni à se chauffer, ni à manger, et de voir les grosses larmes qui montaient dans ses yeux, j'avais envie de pleurer, moi aussi. ♫
Cependant la nuit était venue tout à fait. Il ne restait plus sur la crête des montagnes qu'une poussière de soleil, une vapeur de lumière du côté du couchant. Je voulus que notre demoiselle entrât se reposer dans le "parc". Ayant étendu sur la paille fraîche une belle peau toute neuve, je lui souhaitai la bonne nuit, et j'allai m'asseoir dehors devant la porte... Dieu m'est témoin que, malgré le feu d'amour qui me brûlait le sang, aucune mauvaise pensée ne me vint; rien qu'une grande fierté de songer que dans un coin du "parc", tout près du troupeau curieux qui la regardait dormir, la fille de mes maître, - comme une brebis plus précieuse et plus blanche que toutes les autres, - reposait, confiée à ma garde. Jamais le ciel ne m'avait paru si profond, les étoiles se brillantes... Tout à coup, la claire-voie du "parc" s'ouvrit et la belle Stéphanette parut. Elle ne pouvait pas dormir. Les bêtes faisaient crier la paille en remuant, ou bêlaient dans leurs rêves. Elle aimait mieux venir près du feu. Voyant cela, je lui jetai ma peau de bique sur les épaules, j'activai la flamme, et nous restâmes assis l'un près de l'autre sans parler. Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu'à l'heure où nous dormons, un monde mystérieux s'éveille dans la solitude et le silence. Alors les sources chantent bien plus clair, les étangs allument des petites flammes. Tous les esprits de la montagne vont et viennent librement; et il y a dans l'air des frôlements, des bruits imperceptibles, comme si l'on entendait les branches grandir, l'herbe pousser. Le jour, c'est la vie des êtres; mais la nuit, c'est la vie des choses. Quand on n'en a pas l'habitude, ça fait peur... Aussi notre demoiselle était toute frissonnante et se serrait contre moi au moindre bruit. Une fois, un cri long, mélancolique, parti de l'étang qui luisait plus bas, monta vers nous en ondulant. Au même instant une belle étoile filante glissa par-dessus nos têtes dans la même direction, comme si cette plainte que nous venions d'entendre portait une lumière avec elle. ♫
- Qu'est-ce que c'est? me demanda Stéphanette à voix basse. ♫
- Une âme qui entre en paradis, maîtresse; et je fis le signe de la croix. ♫
Elle se signa aussi, et resta un moment la tête en l'air, très recueillie. Puis elle me dit: ♫
- C'est donc vrai, berger, que vous êtes sorciers, vous autres? ♫
- Nullement, notre demoiselle. Mais ici nous vivons plus près des étoiles, et nous savons ce qui s'y passe mieux que des gens de la plaine. ♫
Elle regardait toujours en haut, la tête appuyée dans la main, entourée de la peau de mouton comme un petit pâtre céleste: ♫
- Qu'il y en a! Que c'est beau! Jamais je n'en avais tant vu... Est-ce que tu sais leurs noms, berger? ♫
- Mais oui, maîtresse... Tenez! juste au-dessus de nous, voilà le "Chemin de saint Jacques" (la voie lactée). Il va de France droit sur l'Espagne. C'est saint Jacque de Galice qui l'a tracé pour montrer sa route au brave Charlemagne lorsqu'il faisait la guerre aux Sarrasins. Plus loin, vous avez le "Char des âmes" (la grande Ourse) avec ses quatre essieux resplendissants. Les trois étoiles qui vont devant sont les "Trois bêtes", et cette toute petite contre la troisième c'est le "Charretier". Voyez-vous tout autour cette pluie d'étoiles qui tombent? Ce sont les âmes dont le bon Dieu ne veut pas chez lui... Un peu plus bas, voici le "Râteau" ou les "Trois rois" (Orion). C'est ce qui nous sert d'horloge, à nous autres. Rien qu'en les regardant, je sais maintenant qu'il est minuit passé. Un peu plus bas, toujours vers le midi, brille "Jean de Milan", le flambeau des astres (Sirius). Sur cette étoile-là, voici ce que les bergers racontent. Il paraît qu'une nuit "Jean de Milan", avec les "Trois rois" et la "Poussinière" (la Pléiade), furent invités à la noce d'une étoile de leurs amies. La "Poussinière", plus pressée, partit, dit-on, la première, et prit le chemin haut. Regardez-la, là-haut, tout au fond du ciel. Les "Trois rois" coupèrent plus bas et la rattrapèrent; mais ce paresseux de "Jean de Milan", qui avait dormi trop tard, resta tout à fait derrière, et furieux, pour les arrêter, leur jeta son bâton. C'est pourquoi les "Trois rois" s'appellent aussi le "Bâton de Jean Milan". Mais la plus belle de toutes les étoiles, maîtresse, c'est la nôtre, c'est "l'Etoile du berger", qui nous éclaire à l'aube quand nous sortons le troupeau, et aussi le soir quand nous le rentrons. Nous la nommons encore "Maguelonne", la belle Maguelonne qui court après "Pierre de Provence" (Saturne) et se marie avec lui tous les sept ans. ♫
- Comment! berger, il y a donc des mariages d'étoiles? ♫
- Mais oui, maîtresse. ♫
Et comme j'essayais de lui expliquer ce que c'était que ces mariages, je sentis quelque chose de frais et de fin peser légèrement sur mon épaule. C'était sa tête alourdie de sommeil qui s'appuyait contre moi avec un joli froissement de rubans, de dentelles et de cheveux ondés. Elle resta ainsi sans bouger jusqu'au moment où les astres du ciel pâlirent, effacés pas le jour qui montait. Moi, je la regardais dormir, un peu troublé au fond de mon être, mais saintement protégé par cette claire nuit qui ne m'a jamais donné que de belles pensées. Autour de nous, les étoiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau; et par moments je me figurais qu'une de ces étoiles, la plus fine, la plus brillante, ayant perdu sa route, était venue se poser sur mon épaule pour dormir. ♫
━━━ ◇ ━━━
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom
Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe que s'éteint
Sur mes maisons réunies
J'écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
━━━ ◇ ━━━
Je me souviens de toi Gilles mon frère oublié dans la terre de Sicile je me souviens d'un matin d'été à Montréal je suivais ton cercueil vide j'avais dix ans je ne savais pas encore.
Ils disent que tu es mort pour l'honneur ils disent et flattent leur bedaine flasque ils disent que tu es mort pour la paix ils disent et succent leur cigare long comme un fusil.
Maintenant je sais que tu es mort avec une petite bête froide dans la gorge avec une sale peur aux tripes j'entends toujours tes vingt ans qui plient dans les herbes crissantes de juillet.
━━━ ◇ ━━━
Cet après-midi, j'ai poussé Arthur dans le bassin. Il est tombé et il s'est mis à faire glou-glou avec sa bouche, mais il criait aussi et on l'a entendu. Papa et maman sont arrivés en courant. Maman pleurait parce qu'elle croyait qu'Arthur était noyé. Il ne l'était pas. Le docteur est venu. Arthur va très bien maintenant. Il a demandé du gâteau à la confiture et maman lui en a donné. Pourtant, il était sept heures, presque l'heure de se coucher quand il a réclamé ce gâteau et maman lui en a donné quand même. Arthur était très content et très fier. Tout le monde lui posait des questions. Maman lui a demandé comment il avait fait pour tomber,s'il avait glissé et Arthur a dit que oui, qu'il avait trébuché. C'est chic à lui d'avoir dit ça, mais je lui en veux quand même et je recommencerai à la première occasion.
D'ailleurs, s'il n'a pas dit que je l'avais poussé, c'est peut-être tout simplement parce qu'il sait très bien que maman a horreur des rapportages. L'autre jour, quand je lui avais serré le cou avec la corde à sauter et qu'il est allé se plaindre à maman en disant: "C'est Hélène qui m'a serré comme ça," maman lui a donné une fessée terrible et lui a dit: "Ne fais plus jamais une chose pareille!" Et quand papa est rentré, elle lui a raconté et papa s'est mis aussi en colère. Arthur a été privé de dessert. Alors, il a compris et, cette fois, comme il n'a rien dit, on lui a donné du gâteau à la confiture: j'en ai demandé aussi à maman, trois fois, mais elle a fait semblant de ne pas m'entendre. Est-ce qu'elle se doute que c'est moi qui ai poussé Arthur?
━━━ ◇ ━━━
Le printemps maladif a chassé tristement ♫
L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L'impuissance s'étire en un long bâillement.
Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne ♫
Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau
Et triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane
Puis je tombé énervé de parfums d'arbres, las, ♫
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,
J'attends, en m'abömant que mon ennui s'élève... ♫
- Cependant l'Azur rit sur la haie et l'éveil
De tant d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
━━━ ◇ ━━━
Par les soirs d'été bleus j'irai dans les sentiers ♫
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds,
Je laisserai le vent baigner ma tête nue!
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien. ♫
Mais l'amour infini me montera dans l'âme;
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
━━━ ◇ ━━━
Mon âme vers ton front où rêve, ô calme soeur, ♫
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton oeil angélique ♫
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d'eau soupire vers l'Azur!
- Vers l'Azur attendri d'Octobre pâle et pur ♫
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l'eau morte où la fauve agonie ♫
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d'un long rayon.
━━━ ◇ ━━━
Paris venait d'apprendre le désastre de Sedan. La République était proclamée. La France entière haletait au début de cette démence qui dura jusqu'après la Commune. On jouait au soldat d'un bout à l'autre du pays. ♫
Des bonnetiers étaient colonels faisant fonctions de généraux; des revolvers et des poignards s'étalaient autour de gros ventres pacifiques enveloppés de ceintures rouges; des petit bourgeois devenus guerriers d'occasion commandaient des bataillons de volontaires braillards et juraient comme des charretiers pour se donner de la prestance. ♫
Le seul fait de tenir des armes, de manier des fusils à système affolait ces gens qui n'avaient jusqu'ici manié que des balances, et les rendait, sans aucune raison, redoutables au premier venu. On exécutait des innocents pour prouver qu'on savait tuer; on fusillait, en rôdant par les campagnes vierges encore de Prussiens, les chiens errants, les vaches ruminant en paix, les chevaux malades pâturant dans les herbages. ♫
Chacun se croyait appelé à jouer un grand rôle militaire. Les cafés des moindres villages, pleins de commerçants en uniforme, ressemblaient à des casernes ou à des ambulances. ♫
Le bourg de Canneville ignorait encore les affolantes nouvelles de l'armée et de la capitale; mais une extrême agitation le remuait depuis un mois, les partis adverses se trouvant face à face. ♫
Le maire, M. le vicomte de Varnetot, petit homme maigre, vieux déjà, légitimiste rallié à l'Empire depuis peu, par ambition, avait vu surgir un adversaire déterminé dans le docteur Massarel, gros homme sanguin, chef du parti républicain dans l'arrondissement, vénérable de la loge maçonnique du chef-lieu, président de la Société d'agriculture et du banquet des pompiers, et organisateur de la milice rurale qui devait sauver la contrée. ♫
En quinze jours, il avait trouvé le moyen de décider à la défence du pays soixante-trois volontaires mariés et pères de famille, paysans prudents et marchands du bourg, et il les exerçait, chaque matin, sur la place de la mairie. ♫
Quand le maire, par hasard, venait au bâtiment communal, le commandant Massarel, bardé de pistolets, passant fièrement, le sabre en main, devant le front de sa troupe, faisait hurler à son monde: «Vive la patrie!» Et ce cri, on l'avait remarqué, agitait le petit vicomte, qui voyait là sans doute une menace, un défi, en même temps qu'un souvenir odieux de la grande Révolution. ♫
Le 5 septembre au matin, le docteur en uniforme, son revolver sur sa table, donnait une consultation à un couple de vieux campagnards, dont l'un, le mari, atteint de varices depuis sept ans, avait attendu que sa femme en eût aussi pour venir trouver le médecin, quand le facteur apporta le journal. ♫
M. Massarel l'ouvrit, pâlit, se dressa brusquement, et, levant les deux bras au ciel dans un geste d'exaltation, il se mit à vociférer de toute sa voix devant les deux ruraux affolés: ♫
- Vive la République! vive la République! vive la République! ♫
Puis il retomba sur son fauteuil, défaillant d'émotion. ♫
Et comme le paysan reprenait: «ça a commencé par des fourmis qui me couraient censément le long des jambes,» le docteur Massarel s'écria: ♫
- Fichez-moi la paix; j'ai bien le temps de m'occuper de vos bêtises. La République est proclamée, l'empereur est prisonnier, la France est sauvée. Vive la République! Et courant à la porte, il beugla: Céleste, vite, Céleste! ♫
La bonne épouvantée accourut; il bredouillait tant il parlait rapidement. ♫
- Mes bottes, mon sabre, ma cartouchière et le poignard espagnol qui est sur ma table de nuit: dépêche-toi! ♫
Comme le paysan obstiné, profitant d'un instant de silence, continuait: ♫
- ça a devenu comme des poches qui me faisaient mal en marchant. ♫
- Fichez-moi donc la paix, nom d'un chien, si vous vous étiez lavé les pieds, ça ne serait pas arrivé. ♫
Puis, le saisissant au collet, il lui jeta dans la figure: ♫
- Tu ne sens donc pas que nous sommes en république, triple brute? ♫
Mais le sentiment professionel le calma tout aussitôt, et il poussa dehors le ménage abasourdi, en répétant: ♫
- Revenez demain, revenez demain; mes amis. Je n'ai pas le temps aujourd'hui. ♫
Tout en s'équipant des pieds à la tête, il donna de nouveau une série d'ordres urgents à sa bonne: ♫
- Cours chez le lieutenant Picart et chez le sous-lieutenant Pommel, et dis-leur que je les attends ici immédiatement. Envoi-moi aussi Torchebeuf avec son tambour, vite, vite. ♫
Et quand Céleste fut sortie, il se recueillit, se préparant à surmonter les difficultés de la situation. ♫
Les trois hommes arrivèrent ensemble, en vêtement de travail. Le commandant, qui s'attendait à les voir en tenue, eut un sursaut? ♫
- Vous ne savez donc rien, sacrebleu? L'empereur est prisonnier, la République est proclamée. Il faut agir. Ma position est délicate, je dirai plus, périlleuse. ♫
Il réfléchit quelque secondes devant les visages ahuris de ses subordonnés, puis reprit: ♫
- Il faut agir et ne pas hésiter; les minutes valent des heures dans des instants pareils. Tout dépend de la promptitude des décisions. Vous, Picart, allez trouver le curé et sommez-le de sonner le tocsin pour réunir la population que je vais prévenir. Vous, Torchebeuf, battez le rappel dans toute la commune jusqu'aux hameaux de la Gerisaie et de Salmare pour rassembler la milice en armes sur la place. Vous Pommel, revêtez promptement votre uniforme, rien que la tunique et le képi. Nous allons occuper ensemble la mairie et sommer M. de Varnetots de me remettre ses pouvoirs. C'est compris? ♫
- Exécutez, et promptement. Je vous accompagne jusque chez vous, Pommel, puisque nous opérons ensemble. ♫
Cinq minutes plus tard, le commandant et son subalterne, armés jusqu'aux dents, apparaissaient sur la place juste au moment où le petit vicomte de Varnetot, les jambes guêtrées comme pour une partie de chasse, son faucheux sur l'epaule, débouchait à pas rapides par l'autre rue, suivi de ses trois gardes en tunique verte, le couteau sur la cuisse et le fusil en bandoulière. ♫
Pendant que le docteur s'arrêtait, stupéfait, les quatre hommes pénétrèrent dans la mairie dont la porte se referma derrière eux. ♫
- Nous sommes devancés, murmura le médecin, il faut maintenant attendre du renfort. Rien à faire pour le quart d'heure. ♫
Le lieutenant Picart reparut: ♫
- Le curé a refusé d'obéir, dit-il; il s'est même enfermé dans l'église avec le bedeau et le suisse. ♫
Et, de l'autre côté de la place, en face de la mairie blanche et close, l'église, muette et noire, montrait sa grande porte de chêne garnie de ferrures de fer. ♫
Alors, comme les habitants intrigués mettaient le nez aux fenêtres ou sortaient sur le seuil des maisons, le tambour soudain roula, et Torchebeuf apparut, battant avec traversa la place au pas gymnastique, puis disparut dans le chemin des champs. ♫
Le commandant tira son sabre, s'avança seul, à moitié distance environ entre les deux bâtiments où s'était barricadé l'ennemi et, agitant son arme au-dessus de sa tête, il mugit de toute la force de ses poumons: ♫
- Vive la République! Mort aux traîtres! ♫
Puis il se replia vers ses officiers. ♫
Le boucher, le boulanger et le pharmacien, inquiets, accrochèrent leurs volets et fermèrent leurs boutiques. Seul l'épicier demeura ouvert. ♫
Cependant les hommes de la milice arrivaient peu à peu, vêtus diversement et tous coiffés d'un képi noir à galon rouge, le képi constituant tout l'uniforme du corps. Ils étaient armés de leurs vieux fusils rouillés, ces vieux fusils pendus depuis trente ans sur les cheminées des cuisines, et ils ressemblaient assez à un détachement de gardes champêtres. ♫
Lorsqu'il en eut une trentaine autour de lui, le commandant, en quelques mots, les mit au fait des événements; puis, se tournant vers son état-major: «Maintenant, agissons,» dit-il. ♫
Les habitants se rassemblaient, examinaient et devisaient. ♫
Le docteur eut vite arrêté son plan de campagne: ♫
- Lieutenant Picart, vous allez vous avancer sous les fenêtres de cette mairie et sommer M. de Varnetot, au nom de la République, de me remettre la maison de ville. ♫
Mais le lieutenant, un maître maçon, refusa: ♫
- Vous êtes encore un malin, vous. Pour me faire flanquer un coup de fusil, merci. Ils tirent bien, ceux qui sont là dedans, vous savez. Faites vos commissions vous-même. ♫
- Je vous ordonne d'y aller au nom de la discipline. ♫
- Plus souvent que je me ferai casser la figure sans savoir pourquoi. ♫
Les notables, rassemblés en un groupe voisin, se mirent à rire. Un d'eux cria: ♫
- T'as raison, Picart, c'est pas l'moment! ♫
Et, déposant son sabre et son revolver aux mains d'un soldat, il s'avança d'un pas lent, l'oeil fixé sur les fenêtres, s'attendant à en voir sortir un canon de fusil braqué sur lui. ♫
Comme il n'était qu'à quelques pas du bâtiment, les portes des deux extrémités donnant entrée dans les deux écoles s'ouvrirent, et un flot de petits êtres, garçons par-ci, filles par-là, s'en échappèrent et se mirent à jouer sur la grande place vide, piaillant, comme un troupeau d'oies, autour du docteur, qui ne pouvait se faire entendre. ♫
Aussitôt les derniers élèves sortis, les deux portes s'étaient refermées. ♫
Le gros des marmots enfin se dispersa, et le commandant appela d'une voix forte: ♫
Une fenêtre du premier étage s'ouvrit. monsieur de Varnetot parut. ♫
- Monsieur, vous savez les grands événements qui viennent de changer la face du gouvernement. Celui que vous représentiez n'est plus. Celui que je représente monte au pouvoir. En ces circonstances douloureuses; mais décisives, je viens vous demander, au nom de la nouvelle République, de remettre en mes mains les fonctions dont vous avez été investi par le précédent pouvoir. ♫
- Monsieur le docteur, je suis maire de Canneville, nommé par l'autorité compétente, et je resterai maire de Canneville tant que je n'aurai pas été révoqué et remplacé par un arrêté de mes supérieurs. Maire, je suis chez moi dans la mairie, et j'y reste. Au surplus, essayez de m'en faire sortir. ♫
Le commandant retourna vers sa troupe. Mais, avant de s'expliquer, toisant du haut en bas le lieutenant Picart: ♫
- Vous êtes un crâne, vous; un fameux lapin, la honte de l'armée. Je vous casse de votre grade. ♫
Et il alla se mêler au groupe murmurant des habitants. ♫
Alors le docteur hésita. Que faire? Donner l'assaut? Mais ses hommes marcheraient-ils? Et puis, en avait-il le droit? ♫
Une idée l'illumina. Il courut au télégraphe dont le bureau faisait face à la mairie, de l'autre côté de la place. Et il expédia trois dépêches: ♫
A MM. les membres du gouvernement républicain à Paris; ♫
A M. le nouveau préfet républicain de la Seine-Inférieure, à Rouen; ♫
A M. le nouveau sous-préfet républicain de Dieppe. ♫
Il exposait la situation, disait le danger couru par la commune demeurée aux mains de l'ancien maire monarchiste, offrait ses services dévoués, demandait des ordres et signait en faisant suivre son nom de tous ses titres. ♫
Puis il revint vers son corps d'armée et, tirant dix francs de sa poche: «Tenez, mes amis, allez manger et boire un coup; laissez seulement ici un détachement de dix hommes pour que personne ne sorte de la mairie.» ♫
Mais l'ex-lieutenant Picart, qui causait avec l'horloger, entendit; il se mit à ricaner et prononça: «Pardi, s'ils sortent, ce sera une occasion d'entrer. Sans ça, je ne vous vois pas encore là dedans, moi!» ♫
Le docteur ne répondit pas, et il alla déjeuner. ♫
Dans l'après-midi, il disposa des postes tout autour de la commune, comme si elle était menacée d'une surprise. ♫
Il passa plusieurs fois devant les portes de la maison de ville et de l'église sans rien remarquer de suspect; on aurait cru vides ces deux bâtiments. ♫
Le boucher, le boulanger et le pharmacien rouvrirent leurs boutiques. ♫
On jasait beaucoup dans les logis. Si l'empereur était prisonnier, il y avait quelque traîtrise là-dessous. On ne savait pas au juste laquelle des républiques était revenue. ♫
Vers neuf heures, le docteur s'approcha seul, sans bruit, de l'entrée du bâtiment communal, persuadé que son adversaire était parti se coucher; et, comme il se disposait à enfoncer la porte à coups de pioche, une voix forte, celle d'un garde, demanda tout à coup: ♫
Et M. Massarel battit en retraite à toutes jambes. ♫
Le jour se lava sans que rien fût changé dans la situation. ♫
La milice en armes occupait la place. Tous les habitants s'étaient réunis autour de cette troupe, attendant une solution. Ceux des villages voisins arrivaient pour voir. ♫
Alors, le docteur, comprenant qu'il jouait sa réputation, résolut d'en finir d'une manière ou d'une autre; et il allait prendre une résolution quelconque, énergique assurément, quand la porte du télégraphe s'ouvrit et la petite servante de la directrice parut, tenant à la main deux papiers. ♫
Elle se dirigea d'abord vers le commandant et lui remit une des dépêches; puis, traversant le milieu désert de la place, intimidée par tous les yeux fixés sur elle, baissant la tête et trottant les yeux fixés sur elle, baissant la tête et trottant menu, elle alla frapper doucement à la maison barricadée, comme si elle eût ignoré qu'un parti armé s'y cachait. ♫
L'huis s'entre-bâilla; une main d'homme reçut le message, et la fillette revint, toute rouge, prête à pleurer, d'être dévisagée ainsi par le pays entier. ♫
Le docteur commanda d'une voix vibrante: ♫
- Un peu de silence, s'il vous plaît. ♫
Et comme le populaire s'était tu, il reprit fièrement: ♫
- Voici la communication que je reçois de gouvernement. Et, élevant sa dépêche, il lut: ♫
«Ancien maire révoqué. Veuillez aviser au plus pressé. Recevrez instructions ultérieures. ♫
" Pour le sous-préfet, «SAPIN, conseiller.» "
Il triomphait; son coeur battait de joie; ses mains tremblaient, mais Picart, son ancien subalterne, lui cria d'un groupe voisin: ♫
- C'est bon, tout ça; mais si les autres ne sortent pas, ça vous fait une belle jambe, votre papier. ♫
Et M. Massarel pâlit. Si les autre ne sortaient pas, en effet, il fallait aller de l'avant maintenant. C'était non seulement son droit, mais aussi son devoir. ♫
Et il regardait anxieusement la mairie, espérant qu'il allait voir la porte s'ouvrir et son adversaire se replier. ♫
La porte restait fermée. Que faire? la foule augmentait, se serrait autour de la milice. On riait. ♫
Une réflexion surtout torturait le médecin. S'il donnait l'assaut, il faudrait marcher à la tête de ses hommes; et comme, lui mort, toute contestation cesserait, c'était sur lui, sur lui seul que tireraient M. de Varnetot et ses trois gardes. Et ils tiraient bien, très bien; Picart venait encore de le lui répéter. Mais une idée l'illumina et, se tournant vers Pommel: ♫
- Allez vite prier le pharmacien de me prêter une serviette et un bâton. ♫
Il allait faire un drapeau parlementaire, un drapeau dont la vue réjouirait peut-être le coeur légitimiste de l'ancien maire. ♫
Pommel revint avec le linge demandé et un manche à balai. Au moyen de ficelles, on organisa cet étendard que M. Massarel saisit à deux mains; et il s'avança de nouveau vers la mairie en le tenant devant lui. Lorsqu'il fut en face de la porte, il appela encore «Monsieur de Varnetot.» La porte s'ouvrit soudain, et M. de Varnetot apparut sur le seuil avec ses trois gardes. ♫
Le docteur recula par un mouvement instinctif; puis il salua courtoisement son ennemi et prononça, étranglé par l'émotion: «Je viens, monsieur, vous communiquer les instructions que j'ai reçues.» ♫
Les gentilhomme, sans lui rendre son salut, répondit: «je me retire, Monsieur, mais sachez bien que ce n'est ni par crainte, ni par obéissance à l'odieux gouvernement qui usurpe le pouvoir.» Et, appuyant sur chaque mot, il déclara: «Je ne veux pas avoir l'air de servir un seul jour la République. Voilà tout.» ♫
Massarel, interdit, ne répondit rien; et M. de Varnetot. se mettant en marche d'un pas rapide, disparut au coin de la place, suivi toujours de son escorte. ♫
Alors le docteur, éperdu d'orgueil, revint vers la foule. Dès qu'il fut assez près pour se faire entendre, il cria: «Hurrah! hurrah! La République triomphe sur toute la ligne.» ♫
Aucune émotion ne se manifesta. ♫
Le médecin reprit: «Le peuple est libre, vous êtes libres, indépendants. Soyez fiers!» ♫
Les villageois inertes le regardaient sans qu'aucune gloire illuminât leurs yeux. ♫
A son tour, il les contempla, indigné de leur indifférence, cherchant ce qu'il pourrait dire, ce qu'il pourrait faire pour frapper un grand coup, électriser ce pays placide, remplir sa mission d'initiateur. ♫
Mais une inspiration l'envahit et, se tournant vers Pommel: «Lieutenant, allez chercher le buste de l'ex-empereur qui est dans la salle des délibérations du conseil municipal, et apportez-le avec une chaise.» ♫
Et bientôt l'homme reparut portant sur l'épaule droite le Bonaparte de plâtre, et tenant de la main gauche une chaise de paille. ♫
M. Massarel vint au-devant de lui, prit la chaise, la posa par terre, plaça dessus le buste blanc, puis se reculant de quelques pas, l'interpella d'une voix sonore: ♫
«Tyran, tyran, te voici tombé, tombé dans la boue, tombé dans la fange. La patrie expirante râlait sous ta botte. Le Destin vengeur t'a frappé. La défaite et la honte se sont attachées à toi; tu tombes vaincu, prisonnier de Prussien; et sur les ruines de ton empire croulant, la jeune et radieuse République se dresse, ramassant ton épée brisée...» ♫
Il attendait des applaudissements. Aucun cri, aucun battement de mains n'éclata. Les paysans effarés se taisaient; et le buste aux moustaches pointues qui dépassaient les joues de chaque côté, le buste immobile et bien peigné comme une enseigne de coiffeur, semblait regarder M. Massarel avec son sourire de plâtre, un sourire ineffaçable et moqueur. ♫
Ils demeuraient ainsi face à face, Napoléon sur chaise, le médecin debout, à trois pas de lui. Une colère saisit le commandant. mais que faire? que faire pour émouvoir ce peuple et gagner définitivement cette victoire de l'opinion? ♫
Sa main pas hasard, se posa sur son ventre, et il rencontra, sous sa ceinture rouge, la crosse des son revolver. ♫
Aucune inspiration, aucune parole ne lui venaient plus. Alors, il tira son arme, fit deux pas et, à bout portant, foudroya l'ancien monarque. ♫
La balle creusa dans le front un petit trou noir, pareil à une tache, presque rien. L'effet était manqué. M. Massarel tira un second coup, qui fit un second trou, puis un troisiéme, puis, sans s'arrêter, il lâcha les trois derniers. Le front de Napoléon volait en poussière blanche, mais les yeux, le nez et les fines pointes des moustaches restaient intact. ♫
Alors exaspéré, le docteur renversa la chaise d'un coup de poing et, appuyant un pied sur le reste du buste, dans une posture de triomphateur, il se tourna vers le public abasourdi en vociférant: «Périssent ainsi tous les traître!» ♫
Mais comme aucun enthousiasme ne se manifestait encore, comme les spectateurs semblaient stupides d'étonnement, le commandant cria aux hommes de la milice: «Vous pouvez maintenant regagner vos foyers.» Et il se dirigea lui-même à grands pas vers sa maison, comme s'il eût fui. ♫
Sa bonne, dès qu'il parut, lui dit que des malades l'attendaient depuis plus de trois heures dans son cabinet. Il y courut. C'étaient les deux paysans aux varices, revenus dès l'aube, obstinés et patients. ♫
Et le vieux aussitôt reprit son explication: «ça a commencé par des fourmis qui me couraient censément le long des jambes...» ♫
━━━ ◇ ━━━
Le jeudi, comme nous n'allions pas en classe, la femme de ménage emmenait chez nous sa fille Mathidle dont elle ne savait que faire.
- Soyez gentils avec cette petite, nous disaient nos parents, elle est très malheureuse.
Elle nous semblait surtout très dégourdie.
- Salut! nous criait-elle en arrivant. Puis elle enlevait son chapeau d'un geste brusque et le balançait à travers la pièce. Elle pestait contre sa barrette qui à chaque fois lui pinçait les cheveux. Après quoi, rituellement, elle roulait ses chaussettes et les descendait en boule sur ses chevilles.
- J'en profite, avouait-elle. Chez vous, maman n'ose rien me dire.
Elle déambulait à travers la chambre, dégingandée et très à l'aise, touchant à tout. Elle nous lançait des défis: défi de sauter sur le clavier du piano, défi de mettre les doigts dans la prise du courant, défi de verser l'encrier dans l'aquarium. Nous ne tardâmes pas à devenir très amis.
━━━ ◇ ━━━
On se moque des visions et des apparitions surnaturelles; quelques-unes, cependant, sont si bien attestées, que, si l'on refusait d'y croire, on serait obligé, pour être conséquent, de rejeter en masse les témoignages historiques. ♫
Un procès-verbal en bonne forme, revêtu des signatures de quatre témoins dignes de foi, voilà ce qui garantit l'authenticité du fait que je vais raconter. J'ajouterai que la prédiction contenue dans ce procès-verbal était connue et citée bien longtemps avant que des événements arrivés de nos jours aient paru l'accomplir. ♫
Charles XI, père du fameux Charles XII, était un des monarques les plus despotiques, mais un des plus sages qu'ait eus la Suède. Il restreignit les privilèges monstrueux de la noblesse, abolit la puissance du Sénat, et fit des lois de sa propre autorité; en un mot, il changea la constitution du pays, qui était oligarchique avant lui, et força les États à lui confier l'autorité absolue. C'était d'ailleurs un homme éclairé, brave, fort attaché à la religion luthérienne, d'un caractère inflexible, froid, positif, entièrement dépourvu d'imagination. ♫
Il venait de perdre sa femme Ulrique-Éléonore. Quoique sa dureté pour cette princesse eût, dit-on, hâté sa fin, il l'estimait, et parut plus touché de sa mort qu'on ne l'aurait attendu d'un coeur aussi sec que le sien. Depuis cet événement, il devint encore plus sombre et taciturne qu'auparavant, et se livra au travail avec une application qui prouvait un besoin impérieux d'écarter des idées pénibles. ♫
A la fin d'une soirée d'automne, il était assis en robe de chambre et en pantoufles devant un grand feu allumé dans son cabinet au palais de Stockholm. Il avait auprès de lui son chambellan, le comte Brahé, qu'il honorait de ses bonnes grâces, et le médecin Baumgarten, qui, soit dit en passant, tranchait de l'esprit fort, et voulait que l'on doutât de tout, excepté de la médecine. Ce soir-là, il l'avait fait venir pour le consulter sur je ne sais quelle indisposition. ♫
La soirée se prolongeait, et le roi, contre sa coutume, ne leur faisait pas sentir, en leur donnant le bonsoir, qu'il était temps de se retirer. La tête baissé et les yeux fixés sur les tisons, il gardait un profond silence, ennuyé de sa compagnie, mais craignant, sans savoir pourquoi, de rester seul. Le comte Brahé s'apercevait bien que sa présence n'était pas fort agréable, et déjà plusieurs fois il avait exprimé la crainte que Sa Majesté n'eût besoin de repos: un geste du roi l'avait retenu à sa place. A son tour, le médecin parla du tort que les veilles font à la santé; mais Charles lui répondit entre ses dents: ♫
«Restez, je n'ai pas encore envie de dormir.» ♫
Alors on essaya différents sujets de conversation qui s'épuisaient tous à la seconde ou troisième phrase. Il paraissait evident que Sa Majesté était dans une de ses humeurs noires, et, en pareille circonstance, la position d'un courtisan est bien délicate. Le comte Brahé, soupçonnant que la tristesse du roi provenait de ses regrets pour la perte de son épouse, regarda quelque temps le portrait de la reine suspendu dans le cabinet, puis il s'écria avec un grand soupir: ♫
«Que ce portrait est ressemblant! Voilà bien cette expression à la fois si majestueuse et si douce! ♫
- Bah! répondit brusquement le roi, qui croyait entendre un reproche toutes les fois qu'on prononçait devant lui le nom de la reine. Ce portrait est trop flatté! La reine était laide.» ♫
Puis, fâché intérieurement de sa dureté, il se leva et fit un tour dans la chambre pour cacher une émotion dont il rougissait. Il s'arrêta devant la fenêtre qui donnait sur la cour. La nuit était sombre et la lune à son premier quartier. ♫
Le palais où résident aujourd'hui les rois de Suède n'était pas encore achevé, et Charles XI, qui l'avait commencé, habitait alors l'ancien palais situé à la pointe du Ritterholm qui regarde le lac Maeler. C'est un grand bâtiment en forme de fer à cheval. Le cabinet du roi était à l'une des extrémités, et à peu près en face se trouvait la grande salle où s'assemblaient les États quand ils devaient recevoir quelque communication de la couronne. ♫
Les fenêtres de cette salle semblaient en ce moment éclairées d'une vive lumière. Cela parut étrange au roi. Il supposa d'abord que cette lueur était produite par le flambeau de quelque valet. Mais qu'allait-on faire à cette heure dans une salle que depuis longtemps n'avait pas été ouverte? D'ailleurs, la lumière était trop éclatante pour provenir d'un seul flambeau. On aurait pu l'attribuer à un incendie; mais on ne voyait point de fumée, les vitres n'étaient pas brisées, nul bruit ne se faisait entendre; tout annonçait plutôt un illumination. ♫
Charles regarda ces fenêtres quelque temps sans parler. Cependant le compte Brahé, étendant la main vers le cordon d'une sonnette, se disposait à sonner un page pour l'envoyer reconnaître la cause de cette singulière clarté; mais le roi l'arrêta. ♫
«Je veux aller moi-même dans cette salle», dit-il. ♫
En achevant ces mots on le vit pâlir, et sa physionomie exprimait une espèce de terreur religieuse. Pourtant il sortit d'un pas ferme; le chambellan et le médecin le suivirent, tenant chacun une bougie allumée. ♫
Le concierge, qui avait la charge des clefs, était déjà couché. Baumgarten alla le réveiller et lui ordonna, de la part du roi, d'ouvrir sur-le-champ les portes de la salle des États. La surprise de cet homme fut grande à cet ordre inattendu; il s'habilla à la hâte et joignit le roi avec son trousseau de clefs. D'abord il ouvrit la porte d'une galerie qui servait d'antichambre ou de dégagement à la salle des États. Le roi entra; mais quel fut son étonnement en voyant les murs entièrement tendus de noir! ♫
«Qui a donné l'ordre de faire tendre ainsi cette salle? demanda-t-il d'un ton de colère. ♫
- Sire, personne, que je sache, répondit le concierge tout troublé, et, la dernière fois que j'ai fait balayer la galerie, elle était lambrissée de chêne comme elle l'a toujours été... Certainement ces tentures-là ne viennent pas du garde-meuble de Votre Majesté.» ♫
Et le roi, marchant d'un pas rapide, était déjà parvenu à plus des deux tiers de la galerie. Le comte et le concierge le suivaient de près; le médecin Baumgarten était un peu en arrière, partagé entre la crainte de rester seul et celle de s'exposer aux suites d'une aventure qui s'annonçait d'une façon assez étrange. ♫
«N'allez pas plus loin, sire! s'écria le concierge. Sur mon âme, il y a de la sorcellerie là-dedans. A cette heure... et depuis la mort de la reine, votre gracieuse épouse..., on dit qu'elle se promène dans cette galerie... Que Dieu nous protège! ♫
- Arrêtez! sire! s'écriait le comte de son côté. N'entendez-vous pas ce bruit qui part de la salle des États? Qui sait à quel dangers Votre Majesté s'expose! ♫
- Sire, disait Baumgarten, dont une bouffée de vent venait d'éteindre la bougie, permettez du moins que j'alle chercher une vingtaine de vos trabans. ♫
- Entrons, dit le roi d'une voix ferme en s'arrêtant devant la porte de la grande salle; et toi, concierge, ouvre vite cette porte.» ♫
Il poussa du pied, et le bruit, répété par l'écho des voûtes, retentit dans la galerie comme un coup de canon. ♫
Le concierge tremblait tellement, que sa clef battait la serrure sans qu'il pût parvenir à la faire entrer. ♫
«Un vieux soldat qui tremble! dit Charles en haussant les épaules. - Allons, comte, ouvrez-nous cette porte. ♫
- Sire, répondit le comte en reculant d'un pas, que Votre Majesté me commande de marcher à la bouche d'un canon danois ou allemand, j'obéirai sans hésiter; mais c'est l'enfer que vous voulez que je défie.» ♫
Le roi arracha la clef des mains du concierge. ♫
«Je vois bien, dit-il d'un ton de mépris, que ceci me regarde seul»; et, avant que sa suite eût pu l'en empêcher, il avait ouvert l'épaisse porte de chêne, et était entré dans la grande salle en prononçant ces mots: «Avec l'aide de Dieu!» Ses trois acolytes, poussés par la curiosité, plus forte que la peur, et peut-être honteux d'abandonner leur roi, entrèrent avec lui. ♫
La grande salle était éclairée par une infinité de flambeaux. Une tenture noire avait remplacé l'antique tapisserie à personnages. Le long des murailles paraissaient disposés en ordre, comme à l'ordinaire, des drapeaux allemands, danois, ou moscovites, trophées des soldats de Gustave-Adolphe. On distinguait au milieu des bannières suédoises, couvertes de crêpes funèbres. ♫
Une assemblée immense couvrait les bancs. Les quatre ordres de l'État siégeraient chacun à son rang. Tous étaient habillés de noir, et cette multitude de faces humaines, qui paraissaient lumineuses sur un fond sombre, éblouissaient tellement les yeux, que, des quatre témoins de cette scène extraordinaire, aucun ne put trouver dans cette foule une figure connue. Ainsi un acteur vis-à-vis d'un public nombreux ne voit qu'une masse confuse, où ses yeux ne peuvent distinguer un seul individu. ♫
Sur le trône élevé d'où le roi avait coutume de haranguer l'assemblée, ils virent un cadavre sanglant, revêtu des insignes de la royauté. A sa droite, un enfant, debout et la couronne en tête, tenait un sceptre à la main; à sa gauche, un homme âgé, ou plutôt un autre fantôme, s'appuyait sur le trône. Il était revêtu du manteau de cérémonie que portaient les anciens administrateurs de la Suède, avant que Wasa en eût fait un royaume. En face du trône, plusieurs personnages d'un maintien grave et austère, revêtus de longues robes noires, et qui paraissaient être des juges, étaient assis devant une table sur laquelle on voyait de grands in-folio et quelques parchemins. Entre le trône et les bancs de l'assemblée, il y avait un billot couvert d'un crêpe noir, et une hache reposait auprès. ♫
Personne, dans cette assemblée surhumaine, n'eut l'air de s'apercevoir de la présence de Charles et des trois personnes qui l'accompagnaient. A leur entrée, ils n'entendirent d'abord qu'un murmure confus, au milieu duquel l'oreille ne pouvait saisir des mots articulés; puis le plus âgé des juges en robe noire, celui qui paraissait remplir les fonctions de président, se leva, et frappa trois fois de la main sur un in-folio ouvert devant lui. Aussitôt il se fit un profond silence. Quelques jeunes gens de bonne mine, habillés richement, et les mains liées derrière le dos, entrèrent dans la salle par une porte opposée à celle que venait d'ouvrir Charles XI. Ils marchaient la tête haute et le regard assuré. Derrière eux, un homme robuste, revêtu d'un justaucorps de cuir brun, tenait le bout des cordes qui leur liaient les mains. Celui qui marchait le premier, et qui semblait être le plus important des prisonniers, s'arrêta au milieu de la salle, devant le billot, qu'il regarda avec un dédain superbe. En même temps, le cadavre parut trembler d'un mouvement convulsif, et un sang frais et vermeil coula de sa blessure. Le jeune homme s'agenouilla, tendait le tête; la hache brilla dans l'air, et retomba aussitôt avec bruit. Un ruisseau de sang jaillit sur l'estrade, et se confondit avec celui du cadavre; et la tête, bondissant plusieurs fois sur le pavé rougi, roula jusqu'aux pieds de Charles, qu'elle teignit de sang. ♫
Jusqu'à ce moment, la surprise l'avait rendu muet; mais, à ce spectacle horrible, sa langue se délia; il fit quelques pas vers l'estrade, et s'adressant à cette figure revêtue du manteau d'Administrateur, il prononça hardiment la formula bien connue: ♫
«Si tu es de Dieu, parle; si tu es de l'Autre, laisse-nous en paix.» ♫
Le fantôme lui répondit lentement et d'un ton solennel: ♫
«CHARLES ROI! ce sang ne coulera pas sous ton règne... (ici la voix devint moins distincte) mais cinq règnes après. Malheur, malheur, malheur au sang de Wasa!» ♫
Alors les formes des nombreux personnages de cette étonnante assemblée commencèrent à devenir moins nettes et ne semblaient déjà plus plus que des ombres colorées, bientôt elles disparurent tout à fait; les flambeaux fantastiques s'éteignirent, et ceux de Charles et de sa suite n'éclairèrent plus que les vieilles tapisseries, légèrement agitées par le vent. On entendit encore, pendant quelque temps, un bruit assez mélodieux, qu'un des témoins compara au murmure du vent dans les feuilles, et un autre, au son que rendent les cordes de harpe en cassant au moment où l'on accorde l'instrument. Tous furent d'accord sur la durée de l'apparition, qu'ils jugèrent avoir été d'environ dix minutes. ♫
Les draperies noires, la tête coupée, les flots de sang qui teignaient le plancher, tout avait disparu avec les fantômes; seulement la pantoufle de Charles conserva une tache rouge, qui seule aurait suffi pour lui rappeler les scènes de cette nuit, si elles n'avaient pas été trop bien gravées dans sa mémoire. ♫
Rentré dans son cabinet, le roi fit écrire la relation de ce qu'il avait vu, la fit signer par ses compagnons, et la signa lui-même. Quelques précautions que l'on prît pour cacher le contenu de cette pièce au public, elle ne laissa pas d'être bientôt connue, même du vivant de Charles XI; elle existe encore, et jusqu'à présent, personne ne s'est avisé d'élever des doutes sur son authenticité. La fin en est remarquable: ♫
«Et, si ce que je viens de relater, dit le roi, n'est pas l'exacte vérité, je renonce à tout espoir d'une meilleure vie, laquelle je puis avoir méritée pour quelques bonnes actions, et surtout pour mon zèle à travailler au bonheur de mon peuple, et à défendre la religion de mes ancêtres.» ♫
Maintenant, si l'on se rappelle la mort de Gustave III et le jugement d'Ankarstroem, son assassin, on trouvera plus d'un rapport entre ces événements et les circonstances de cette singulière prophétie. ♫
Le jeune homme décapité en présence des États aurait désigné Ankarstroem. ♫
Le cadavre couronné serait Gustave III. ♫
L'enfant, son fils et son successeur, Gustave-Adolphe IV. ♫
Le vieillard, enfin, serait le duc de Sudermanie, oncle de Gustave IV, qui fut régent de royaume, puis enfin roi après la déposition de son neveu. ♫
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à vitesse égale, on va plus vite en Renault 16
165 chrono pour la Renault 16TS, 145 pour la Renault 16, ce sont des vitesses de pointe très appréciables; et pourtant pas exceptionnelles.
D'autres voitures en font autant. Mais la Renault 16 profite mieux de sa vitesse: on va plus vite en Renault 16.
Plus vite, parce que sa suspension permet de maintenir sa vitesse quel que soit l'état de la route.
Plus vite, parce que la tenue de route de cette traction avant permet des vitesses supérieures sur les routes tourmentées.
Plus vite, parce que son freinage équilibré permet de freiner plus tard, en toute sécurité.
Plus vite, parce que son confort, sa visibilité, son silence permettent de la conduire longtemps sans aucune fatigue.
Oui, à vitesse égale, on va plus vite en Renault 16. Essayez-la; la route vous le prouvera.
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Toutes réflexion faites nous allons quand même vous parler de ces sièges. D'abord le cuir qui les recouvre est le seul raffinement avec le toit ouvrant électrique pour lequel nous vous demanderons un supplément.
Ensuite, ces sièges, leur confort, leur opulence même, reflètent bien le luxe et le raffinement de la Renault 16TS.
En effet, ils sont à l'image de l'équipement de série de la voiture; des phares à iode longue portée, des phares de recul, des glaces à commande électrique, du combiné lave-glace essuie-glace 2 vitesses, du compte-tours électronique, du cendrier éclairé la nuit, des sièges couchette, de l'épaisse moquette, du spot de lecture individuelle, de la boîte à gants éclairée, et fermant à clé, etc...
Nous n'avons pas résisté à l'envie de faire quelques commentaires.
Mais finalement ce n'est rien à coté de ce que vous en direz après vous être assis dans la Renault 16TS.
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Vous êtes aux commandes d'une Renault 16TS. Devant vous: le poste de pilotage. Il vous en dit long sur la personnalité de la Renault 16TS. Tout ici est utile, fonctionel, astucieux, pratique, esthétique. A l'image même de la Renault 16TS.
Car le véritable luxe de la Renault 16TS, c'est l'Equipement. Un Equipement qu'aucune autre voiture de même catégorie ne peut vous offrir en série. Nous appelons Equipement les phares à iode longue portée, les phares de recul, le dégivrage électrique de la lunette arrière, l'essuie-glace à 2 vitesses, le lave-glace à 4 gicleurs, la commande combinée lave-glace essuie-glace par pédale, le rétroviseur jour-nuit.
Nous appelons Equipement le compte-tours électronique, le totalisateur kilométrique journalier, la montre de bord, les glaces avant à commande électrique, l'éclairage automatique de la serrure de contact.
Nous appelons Equipement les accoudoirs aux 4 portes et ces 2 accoudoirs centraux qui, en s'escamotant, libèrent une troisième place à l'arrière et transforment les 2 sièges avant et une confortable banquette 3 places.
Nous appelons Equipement les 3 cendriers, le bloc fumeur lumineux, le spot de lecture passager (pour lire la nuit, sans gêner le conducteur) le coffre à gants éclairé.
Bref nous appelons Equipement ce que d'autres appellent luxe et vous proposent en option avec supplément. Mais nous avons aussi notre luxe: l'option toit ouvrant (il n'a pas que des partisans) à commande électrique et l'option sièges en cuir (tout le monde n'aime pas l'odeur du cuir). Voilà ce que nous voulions dire par: bienvenue à bord.
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